Jusqu'au moment où George Parros s'est écroulé sur la patinoire, la soirée était magique.

Sur la place des Festivals, 40 000 personnes ont célébré l'ouverture de la saison avec le groupe Kings of Leon. Quoi demander de mieux? Un bon show, une magnifique soirée d'automne, des sourires sur tous les visages, une ambiance de fête... Transmise partout au Canada sur les ondes de CBC, la scène a donné une extraordinaire image de Montréal.

Une demi-heure plus tard, le party s'est poursuivi au Centre Bell. Lorsque Guy Lafleur s'est pointé en portant bien haut le flambeau, la foule a explosé. Le Canadien qui célèbre ses racines, ça nous prend toujours aux tripes.

Jusque-là, le sport professionnel remplissait à merveille son rôle social: rassembler les gens et leur faire oublier un moment ce qui les divise.

En entrevue avec ma collègue Émilie Côté, Biz a bien résumé l'affaire avant de monter à son tour sur scène avec ses camarades de Loco Locass.

«Par les temps qui courent, le Québec a profondément besoin d'être uni, a-t-il dit. Pour le meilleur ou pour le pire, le Canadien est en ce moment le meilleur vecteur d'unification. Montréal et les régions, les jeunes et les vieux, les religieux et les athées, les anglos et les francos...»

Et puis est arrivée la troisième période du match. Une bagarre absurde, un joueur inerte sur la patinoire, un médecin dépêché en catastrophe, une civière qui apparaît... Ce fut la fin du party.

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De retour à la maison, troublé par cette tournure des événements, j'ai écouté une entrevue de Gary Bettman diffusée lundi à CBC.

Le chef d'antenne Peter Mansbridge a demandé au commissaire de regarder des images sur un iPad. C'étaient celles de la foire d'empoigne entre les Maple Leafs de Toronto et les Sabres de Buffalo, le 22 septembre dernier. Le commissaire a vite levé les yeux de l'écran. «J'ai déjà vu ça», a-t-il dit, agacé.

Bettman a ensuite affirmé que des incidents semblables étaient «un peu plus fréquents» dans les matchs préparatoires, la «discipline» du calendrier régulier ne faisant pas encore son oeuvre. Cette curieuse théorie s'est écroulée dès le premier match de la saison!

Des propos de Bettman, une conclusion s'impose: ce n'est pas sous son règne que la LNH interdira les bagarres. Il est resté fidèle à sa philosophie, selon laquelle les combats font historiquement partie du hockey.

«Avant de procéder à un changement fondamental de règlement et de dire, par exemple, qu'une bagarre entraîne une absence de deux semaines, il faut être prudent, a-t-il expliqué. Il faut laisser les choses évoluer. Pour chaque action posée, il existe probablement une conséquence involontaire qu'on ignore.»

Pour Bettman, les bagarres sont une «soupape» permettant de baisser la «température» d'un match et d'empêcher d'autres coups vicieux.

Ce raisonnement est troublant. Il suppose en effet que les bagarres ne causent aucun dommage collatéral, comme les commotions cérébrales. Les avancées médicales démontrent pourtant le danger intrinsèque des combats sur la santé des joueurs. La LNH ne peut plaider l'ignorance.

En septembre 2011, tout juste promu préfet de discipline de la LNH, Brendan Shanahan a annoncé son intention d'examiner le dossier des bagarres. Ce projet a été balayé sous le tapis. Même la mort de trois durs à cuire, Derek Boogaard, Rick Rypien et Wade Belak, n'a pas poussé le circuit à dresser un véritable état des lieux.

L'hiver dernier, la terrible droite de Frazer McLaren, des Maple Leafs, au visage de Dave Dziurzynski, des Sénateurs d'Ottawa, n'a suscité aucune interrogation, malgré le sévère choc au cerveau subi.

Cette saison, Corey Tropp, des Sabres, a subi une fracture de la mâchoire et une commotion cérébrale durant un combat. Et George Parros est aussi blessé.

La LNH dit se préoccuper de la sécurité des joueurs. Mais cette assurance est à géométrie variable.

Il y a deux ans, Ken Dryden a invité la LNH à la réflexion. Selon lui, une stratégie sérieuse de lutte contre les coups à la tête doit conduire à l'abolition des bagarres. «Dans une bataille, la tête n'est-elle pas visée? N'est-elle pas le point de contact principal?», a-t-il écrit.

Parros n'a pas été blessé par un coup de poing. Mais sa commotion cérébrale a été causée par la bagarre.

Des scènes semblables font mal à notre sport national. Et elles expliquent pourquoi les parents canadiens hésitent à inscrire leurs enfants au hockey.

Une étude de Bauer et Hockey Canada, dévoilée cet été, confirme une intuition de Dryden. Dès 2011, il affirmait que les parents choisiraient pour leurs enfants un autre sport. Et que le hockey serait «de plus en plus regardé sans être joué».

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Dans toute cette affaire, le Canadien paraît mal. La première sortie de Parros a entraîné des résultats désastreux. On peut «grossir» l'équipe sans nécessairement embaucher un spécialiste des combats.

Quels seront les impacts de cette commotion cérébrale sur la vie de Parros? Chaque cas est différent, mais la science et les témoignages d'anciens joueurs nous rappellent les dangers des chocs au cerveau.

La soirée de mardi, préparée avec soin par la LNH afin de célébrer le hockey, était si bien partie. Elle s'est transformée en triste début de saison.