Aux États-Unis, les élections de novembre dernier ont couronné deux gagnants: Barack Obama et... Nate Silver!

Économiste de 35 ans et passionné de sport, Silver a développé en 2003 un nouveau modèle statistique prévoyant le rendement des joueurs de baseball. Mais c'est comme analyste politique qu'il a établi sa renommée.

Aux présidentielles de 2008, Silver a correctement prédit les résultats dans 49 États sur 50. Quatre ans plus tard, il a fait encore mieux: 50 sur 50!

Son blogue, FiveThirtyEight (le nom fait référence au nombre de grands électeurs dans le système électoral américain), est publié sur le site du New York Times et jouit d'un retentissement considérable.

Ces jours-ci, Silver s'intéresse à la popularité de Hillary Clinton, aux déboires de l'Agence américaine du revenu et à... la LNH!

Vendredi dernier, il a publié une recherche fouillée, dans laquelle il étudie les ennuis des équipes canadiennes à remporter la Coupe Stanley. Aucune n'a réussi le coup depuis les Glorieux en 1993.

Silver examine aussi le modèle d'affaires de la LNH, avec ses nombreuses équipes établies dans des marchés américains où le hockey n'est guère populaire. Pourquoi, demande-t-il, ne pas choisir des villes canadiennes où ce sport soulève les passions?

Dans une récente chronique, mon collègue Ronald King a fait état de certaines conclusions de Silver, selon qui la LNH aurait avantage à aligner trois équipes dans la grande région de Toronto, deux à Montréal et une à Québec.

Dans le contexte actuel, où la LNH tente désespérément de maintenir les Coyotes de Phoenix à flot, cette analyse est percutante.

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La collecte et l'analyse de données sont à la base du travail de Silver. À partir du nombre de recherches effectuées sur Google avec le terme «NHL», il a estimé le nombre d'amateurs de hockey dans plusieurs marchés d'Amérique du Nord. Il a ensuite couplé ces chiffres à ceux du magazine Forbes sur la rentabilité des équipes.

Résultat, les 13 clubs comptant 700 000 fans de hockey ou plus ont touché un profit en 2011-2012. Les six équipes avec 300 000 partisans ou moins (Tampa Bay, Phoenix, Floride, Caroline, Nashville et Columbus) ont enregistré des pertes.

La méthodologie de Silver n'est pas sans faille. Les centres urbains auxquels il fait référence ont manifestement des frontières très étendues, notamment dans le cas de Québec. Et il ne tient pas compte de l'activité économique et du nombre de sièges sociaux.

En revanche, ses constats prouvent que sans un seuil minimal de passionnés de hockey dans son marché, une organisation éprouvera toujours des ennuis. Ses revenus aux guichets seront bas, tout comme ses commandites de sociétés et ses droits de télévision locaux.

Voilà pourquoi cette autre tentative de sauver les Coyotes de Phoenix est si difficile à saisir. Si la LNH, comme les autres circuits professionnels, voulait simplement augmenter ses revenus, elle quitterait l'Arizona. Mais pour préserver son héritage, l'implantation du hockey dans le sud des États-Unis, Gary Bettman est prêt à des compromis inouïs.

Selon des informations du magazine Forbes, la vente envisagée des Coyotes au groupe Renaissance Sport &Entertainment, dirigé par le banquier albertain George Gosbee, est structurée de manière à réunir 250 millions. Ce montant couvrirait le prix d'achat de la concession et l'établissement d'un fonds de roulement.

Le débours au comptant serait de 45 millions. Deux emprunts compléteraient le montage. Le premier, de 85 millions et aux modalités souples de remboursement, viendrait de la LNH elle-même. Oui, le même circuit qui jurait durant le dernier lock-out que son modèle économique ne fonctionnait pas!

Une institution financière américaine consentirait un deuxième prêt de 120 millions. Cette somme serait remboursée par les contribuables de Glendale, à même les frais de gestion de l'amphithéâtre versés par la Ville aux acquéreurs.

Ces termes sont si attrayants que même Joyce Clark, une ex-conseillère municipale de Glendale s'étant toujours battue pour le maintien des Coyotes dans le désert, a manifesté sa surprise. Il s'agit d'une «très, très belle» entente pour Gosbee et son groupe, a-t-elle écrit dans son blogue.

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On ignore toujours si les élus de Glendale accepteront ce plan. Cela dit, cet épisode rappelle un paradoxe de la LNH.

Les équipes canadiennes sont profitables, mais le circuit refuse pour l'instant d'en augmenter le nombre. Ses dirigeants préfèrent soutenir les concessions américaines en mauvaise santé financière grâce au partage des revenus. En clair, les profits du Canadien et des Maple Leafs de Toronto serviront encore à maintenir le hockey en Arizona.

Ironiquement, lorsque la LNH, en désespoir de cause, ne sait plus où s'adresser pour sauver une équipe américaine, elle se tourne vers des... Canadiens, comme Gosbee et son principal associé, Anthony Leblanc.

Ce fut aussi le cas en 2011, lorsque les Stars de Dallas, sous la tutelle de la LNH, étaient à la recherche d'un nouveau propriétaire. Tom Gaglardi, un entrepreneur de Vancouver, est venu à la rescousse.

Bref, Gary Bettman adore les nouveaux investisseurs canadiens. Pourvu qu'ils exploitent des équipes aux États-Unis. Ce serait bien si le commissaire montrait le même intérêt envers les théories de Nate Silver.