Vingt ans plus tard, l'extraordinaire printemps 1993 demeure un moment fort de l'histoire du Canadien. Guidés par un entraîneur passionné, Jacques Demers, et un gardien de but d'exception, Patrick Roy, les Glorieux remportent, contre toute attente, la 24e Coupe Stanley de leur histoire. Notre chroniqueur était aux premières loges de cette folle chevauchée et a replongé dans ses calepins. Récit du printemps des miracles.

Bromont, le vendredi 16 avril 1993.

Dans une salle du Centre sportif, Jacques Demers explique pourquoi le Canadien peut battre les Nordiques au premier tour des séries éliminatoires. «Je sais qu'on me reproche d'avoir toujours le mot «positif» à la bouche, dit-il. Mais je m'en moque. Je sens que mon équipe se tient, que les gars sont ensemble...» Après une fin de saison difficile, Demers a réuni ses joueurs dans cet environnement paisible afin de soigner leur préparation. Le Canadien fait face à un énorme défi. L'offensive des Fleurdelysés est dévastatrice: Sakic, Sundin, Kamensky, Nolan... Pour hausser la confiance des siens, Demers a préparé une vidéo mettant en évidence leurs plus beaux jeux. Personne ne le sait encore, mais la confiance absolue de Demers dans ses joueurs produira bientôt une suite de miracles. Mais pas avant que ses convictions ne soient ébranlées.

Québec, le mardi 20 avril 1993.

La conférence de presse d'après-match est terminée depuis 15 minutes. Mais Jacques Demers n'a pas décoléré. Dans le garage du Colisée, il lance sa bouteille d'eau d'un geste rageur. Les Nordiques ont pris l'avance deux matchs à zéro dans la série. Leur jeu est si fluide qu'ils ont parfois semblé seuls sur la patinoire.

Demers: «Je n'ai pas l'habitude de blâmer mes gars en public, mais je n'aime pas la façon dont plusieurs d'entre eux répondent. Ce soir, je n'ai rien de positif à dire.»

Montréal, le mercredi 21 avril 1993.

À l'entraînement du Canadien, l'ambiance est lourde. L'enjeu du match de demain n'échappe à personne: un troisième échec contre les Nordiques serait presque fatal.

Dans l'espoir de secouer les siens, Demers lance: «Qui veut partir en vacances pendant quatre mois, tabarouette? Dire qu'il y a des travailleurs qui n'ont qu'une semaine de congé après 10 ans de service!»

Mais ce jour-là, c'est Patrick Roy qui sonne véritablement le réveil. «On est trop respectueux des Nordiques, déclare-t-il. Dans notre équipe, on dit que Joe Sakic est bon, Mats Sundin et Owen Nolan aussi. Respecter ses adversaires, c'est bien. Mais le respect a ses limites. Tout à coup, il faut que ça arrête, ces affaires-là. À force de répéter que les Nordiques sont beaux, bons et fins, on finit par le croire nous-mêmes.»

Ce cri du coeur marque un tournant décisif. Avec Roy comme leader, le rebond du Canadien est amorcé.

Aéroport de Dorval, le dimanche 25 avril 1993.

Le Canadien a égalé la série à deux matchs. Patrick Roy et ses coéquipiers s'apprêtent à s'envoler vers Québec en vue du cinquième affrontement.

Sûr de lui, le gardien lance une craque à ses adversaires. «Les Nordiques ont Sakic et Sundin, qui peuvent déjouer tout le monde. Mais en séries éliminatoires, ce qui compte, c'est le talent collectif, pas individuel.»

Montréal, le mercredi 28 avril 1993.

Le Canadien élimine les Nordiques en six matchs grâce à une victoire de 6-2 au Forum. La bataille du Québec est terminée.

Buffalo, le samedi 8 mai 1993.

Un but de Kirk Muller permet au Canadien de balayer les Sabres en quatre matchs. C'est la cinquième victoire consécutive des Glorieux en prolongation ce printemps. Prochain adversaire: les Islanders de New York.

Montréal, le lundi 24 mai 1993.

Au Forum, l'ambiance est électrique. Le Canadien a éliminé les Islanders en cinq matchs. Le vétéran Denis Savard est ému. «Tu sais, je n'ai pas gagné beaucoup de championnats dans ma carrière. La dernière fois, c'est dans les midgets. Aujourd'hui, j'en suis à ma 13e saison dans la Ligue nationale. Je ne suis pas fou, je sais bien qu'il s'agit d'une de mes dernières chances de remporter la Coupe...»

Toronto, le samedi 29 mai 1993.

Depuis cinq jours, le Canadien reprend des forces en attendant la finale de la Coupe Stanley. Pendant ce temps, à Toronto, les Kings de Los Angeles et les Maple Leafs, dirigés par Pat Burns, disputent un septième match. Les gagnants affronteront les Glorieux. Épuisés, les courageux Maple Leafs ne tiennent pas le rythme. Avec trois buts et une aide, Wayne Gretzky mène les Kings à la victoire. La finale promet: Gretzky et les Kings contre Roy et le Canadien!

Montréal, le jeudi 3 juin 1993.

Après avoir perdu le premier duel, le Canadien est de nouveau en difficulté dans la deuxième rencontre. Les Kings mènent 2-1 en fin de troisième période. Jacques Demers demande alors à l'arbitre de mesurer le bâton de Marty McSorley. La courbe est illégale et il est pénalisé. Éric Desjardins en profite pour créer l'égalité avec son deuxième but du match. Et il donne ensuite la victoire aux siens en prolongation!

Vol Montréal-Los Angeles, le vendredi 4 juin 1993.

Dans l'avion, Éric Desjardins évoque son tour du chapeau de la veille. «J'ai appelé mon père en Abitibi. S'il était fier? Mets-en! Je lui ai dit: «P'pa, faut pas s'énerver trop vite, on a encore trois matchs à gagner.» Mais il ne l'entendait pas ainsi. Il était tellement content. Moi, je n'ai pas fêté. Mais je pense qu'il l'a fait pour deux.»

Los Angeles, le samedi 5 juin 1993.

Neuvième victoire du Canadien en prolongation ce printemps! «C'est incroyable! dit Jacques Demers. Quelque chose d'extraordinaire se passe dans cette équipe pour obtenir une telle séquence.» Deux jours plus tard, le Canadien répète l'exploit et mène désormais la série trois matchs à un.

Montréal, le mercredi 9 juin 1993.

Devant un public survolté au Forum, le Canadien remporte la Coupe Stanley en battant les Kings 4-1. «Je ne réalise pas vraiment ce qui m'arrive», dit Jacques Demers, se faisant ainsi l'écho de la surprise de milliers de Québécois. Pour le Canadien, le printemps 1993 est celui des miracles.