Le compte à rebours est enclenché. Les Jeux olympiques de Sotchi commenceront dans un an et le président de la Russie, Vladimir Poutine, était dans cette ville bordée par la mer Noire, la semaine dernière, pour souligner l'événement.

Non, M. Poutine n'a pas invité les Pussy Riot à donner un spectacle. Deux des membres de ce groupe musical croupissent toujours en prison après avoir contesté son leadership, du «houliganisme» selon les juges.

Il n'a pas davantage commenté les conclusions de Human Rights Watch, l'organisme de défense des droits de l'homme qui a dénoncé les conditions de travail de plusieurs ouvriers sur les chantiers.

L'heure était plutôt à la célébration, car la Russie a déjà remporté une médaille d'or: celle des Jeux les plus coûteux de l'histoire. La facture atteindra la somme hallucinante de 50 milliards.

Il s'agit pourtant de Jeux d'hiver, qui accueillent moins d'athlètes, moins de journalistes et moins de touristes que les Jeux d'été.

Dans une entrevue au New York Times, le porte-parole de M. Poutine a comparé l'ampleur des travaux à celle de la reconstruction des villes russes après les destructions de la IIe Guerre mondiale.

Pour la «famille olympique», ces Jeux s'annoncent une réussite. L'argent coule à flots et rien n'est épargné pour en mettre plein la vue.

Le président du Comité international olympique (CIO), Jacques Rogge, a défendu les autorités russes, affirmant qu'on devait mettre la facture «en perspective», puisque les nouvelles infrastructures profiteront aux prochaines générations.

On a dit la même chose à Athènes pour justifier les dépenses du gouvernement grec en vue des Jeux d'été de 2004. Aujourd'hui, certaines des installations bâties à grands frais sont quasi abandonnées et les retombées économiques ne se sont pas matérialisées.

L'an dernier, M. Rogge s'était légèrement inquiété de cette inflation galopante, qui finira par décourager les ambitions olympiques de villes qui seraient pourtant de bonnes candidates. Pensons à Québec, par exemple, ou Montréal, qui possèdent des atouts pour organiser des Jeux d'hiver.

«Le coût des Jeux doit être abordable, avait-il dit. Nous devrons voir s'il faut renforcer les mesures à cet effet. Mais nous ne proposerons rien de radical.»

Traduction libre: le statu quo fait l'affaire du CIO. M. Rogge devrait pourtant s'inquiéter de la diminution du nombre de villes intéressées à obtenir les Jeux.

Ainsi, cinq villes étaient en lice pour l'obtention des Jeux d'été de 2012 et quatre pour ceux de 2016.

Elles ne seront que trois en septembre prochain, lorsque le CIO choisira entre Madrid, Istanbul et Tokyo pour l'organisation des Jeux de 2020. Rome, qui comptait parmi les favorites, s'est désistée en raison des coûts fabuleux.

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Côté sport, les Jeux de Sotchi sont prometteurs pour les athlètes canadiens. Plusieurs d'entre eux, dont de nombreux Québécois, devraient monter sur le podium.

Steve Podborski, le chef de mission de l'équipe canadienne, était à Sotchi la semaine dernière. «J'ai vu Vladislav Tretiak, a-t-il raconté. Il rêve d'un match entre la Russie et le Canada pour la médaille d'or au hockey masculin.»

L'ancien skieur, un crack de la descente, a fait cette déclaration lors d'une conférence de presse organisée par le Comité olympique canadien (COC).

La veille, le COC avait invité les journalistes de tout le pays à s'entretenir avec Marcel Aubut, président de l'organisme, et Podborski, par le truchement d'une vidéoconférence en direct de Sotchi.

Mais M. Aubut, retenu à un banquet auquel participaient MM. Poutine et Rogge, n'était pas au rendez-vous. Résultat, Podborski était seul pour répondre aux questions. Malheureusement, il bredouille à peine «bonjour» en français.

Tant pis pour les médias du Québec, notamment ceux de la presse électronique, qui auraient bien aimé obtenir des extraits sonores en français. Après tout, il s'agissait de la promesse implicite du COC en lançant l'invitation.

Imaginez si l'inverse s'était produit!

Imaginez si seul un porte-parole unilingue francophone avait été disponible pour s'exprimer au nom du COC. Croyez-vous que cette vidéoconférence aurait eu lieu? Pas une chance sur mille! Elle aurait été reportée le temps de corriger la situation.

Le COC invoque un accident de parcours dû à l'horaire serré de M. Aubut. Une bonne excuse, peut-être, mais encore une excuse. Comme lorsque la presque totalité d'une conférence de presse à l'automne 2011, tenue à Montréal par-dessus le marché, avait eu lieu en anglais.

La situation de la semaine dernière aurait pu être évitée si, au moment de choisir Podborski chef de mission il y a un an, on avait aussi nommé son adjoint, qui sera évidemment bilingue. Cette personne aurait pu l'accompagner à Sotchi et être de la conférence de presse. Mais le poste demeure vacant. Pas d'urgence de ce côté, semble-t-il.

Aux Jeux de Londres, le COC a fait des efforts pour donner au français la place qui lui revient. Mais le ciment n'est manifestement pas pris. Malgré les promesses, ce réflexe ne fait pas encore partie de son code génétique.

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Une des légendes de l'histoire russe veut qu'à l'époque de Catherine la Grande, au XVIIIe siècle, son conseiller Potemkine améliorait l'apparence de certains villages, afin que l'impératrice ne voie pas leur état délabré.

Des médias ont fait l'analogie entre Sotchi et ces villages la semaine dernière. En pompant 50 milliards dans la tenue des Jeux, le gouvernement russe entend accueillir les visiteurs avec éclat. Mais il s'expose aussi à la critique.

Derrière le succès probable des Jeux de Sotchi, on devine déjà un malaise.