Juillet 1990. Victime d'une crevaison dans la montée d'un col pyrénéen, Greg LeMond est attaqué par ses deux principaux rivaux. «Ça ne se fait pas», fulmine-t-il en remontant sur son vélo, le couteau entre les dents.

Quatre jours plus tard, sur les Champs-Élysées, LeMond remporte son deuxième Tour de France consécutif. Je suis à Paris pour couvrir l'événement. Après avoir reçu son prix, le coureur américain commente ce moment décisif de l'épreuve.

«Quand j'ai eu cette crevaison, j'ai eu un choc. Sur le bord de la route, je me suis senti comme un animal abandonné. Pour rejoindre le peloton, j'ai pris des risques insensés dans la descente du col de Marie Blanque. Des risques que je n'aurais pris dans aucune autre course. Seulement dans le Tour de France suis-je prêt à risquer ma vie.»

Aujourd'hui, ce récit semble presque une métaphore du parcours de LeMond depuis sa retraite de la compétition.

Au début des années 2000, sous le règne menaçant de Lance Armstrong, LeMond a souvent semblé abandonné. Retraité de la compétition mais toujours amoureux du vélo, il n'a pas caché ses soupçons de dopage à l'endroit de son compatriote, prenant ainsi de gros risques.

Son nom s'est retrouvé sur la liste noire d'Armstrong, un homme capable d'intimider les gens sur son chemin.

Mais comme dans le col de Marie Blanque il y a 22 ans, LeMond s'est battu. Cette pugnacité est inscrite dans son code génétique. C'est ainsi qu'il est redevenu un athlète de premier plan après avoir frôlé la mort dans un accident de chasse en 1987; c'est ainsi qu'il a remporté trois fois le Tour de France même si le milieu l'a parfois accusé de manquer de panache.

«Les critiques font partie de ma vie», disait-il, dès cette époque.

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Désormais âgé de 51 ans, LeMond se retrouve enfin en position d'influence. Le verdict sans appel de l'Agence américaine antidopage (USADA) à l'endroit d'Armstrong a démontré qu'il avait vu juste.

Dans son combat pour un cyclisme propre, LeMond exige la démission de Pat McQuaid, le président de l'Union cycliste internationale (UCI). Il soutient que McQuaid, tout comme son prédécesseur Hein Verbruggen, a refusé de faire face à la réalité en matière de dopage.

Une commission d'enquête indépendante a été formée pour analyser le travail de l'UCI durant l'époque Armstrong. Ses membres devront notamment déterminer si un don en argent d'Armstrong à l'UCI visait à éliminer un test positif survenu au Tour de Suisse de 2001.

En attendant le dépôt du rapport le 1er juin prochain, LeMond estime que McQuaid doit céder son poste. À l'occasion de la première réunion du groupe «Changer le cyclisme maintenant», il a offert de le remplacer temporairement.

«C'est le moment ou jamais d'agir, a déclaré LeMond au quotidien français Le Monde. Après le nouveau séisme provoqué par l'affaire Armstrong, une autre chance ne se présentera pas. Si nous voulons redonner confiance au public et aux sponsors, il faut agir vite et fort. Sinon, le cyclisme va mourir.»

Le plan de LeMond comporte deux étapes. D'abord, rendre l'UCI «plus démocratique, plus transparente». Et ensuite, trouver un président permanent. Il souhaite «quelqu'un d'irréprochable au plan de l'éthique», avec «une vraie expérience sur le terrain de la lutte contre le dopage et la corruption». Et il mentionne le nom de Richard Pound.

L'avocat montréalais, ancien président de l'Agence mondiale antidopage, se montre depuis longtemps très sévère à l'endroit de l'UCI.

En octobre dernier, Pound a affirmé que le rapport de la USADA démontrait la «culpabilité» d'Armstrong, mais aussi «la complicité tacite des personnes et des organismes qui auraient dû le surveiller». À mon collègue Michel Marois, il a ajouté: «L'UCI n'a de toute évidence pas fait un très bon travail...»

Hier, dans un échange de courriels, Pound a réagi ainsi lorsque je lui ai demandé de commenter la suggestion de LeMond.

«Je suis la dernière personne au monde que souhaiterait voir le leadership actuel et passé de l'UCI!

«Cela dit, la suggestion est flatteuse au plan personnel, surtout venant de quelqu'un comme Greg LeMond. Mais la personne qui dirige le cyclisme devrait être quelqu'un de très familier avec le cyclisme.»

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Greg LeMond est-il vraiment le meilleur candidat pour conduire l'UCI dans cette période si tourmentée?

Chose sûre, d'anciens athlètes de renom s'illustrent dans des rôles-clés d'administrateurs sportifs. Qu'on pense à Michel Platini, grand patron du football européen, ou Sebastian Coe, principal artisan du succès des Jeux olympiques de Londres.

LeMond est-il de cette trempe? Difficile à dire. Ses opinions sont tranchées, mais un président de fédération doit aussi être un rassembleur.

Sur le fond, LeMond a raison. Peu importe les conclusions de la commission d'enquête, le duo Verbruggen-McQuaid sera toujours associé à une période noire du cyclisme.

Plus tôt cet automne, lorsque l'UCI a accepté le jugement de l'Agence américaine antidopage et dépouillé Armstrong de ses victoires au Tour de France, McQuaid aurait dû démissionner.

Ce sport doit être reconstruit sur des bases nouvelles. Et par des leaders capables d'inspirer confiance.

Greg LeMond mène le bon combat.