Au moment où un conflit de travail s'annonce dans la LNH, une question s'impose: à qui profitera ce lock-out?

Chose sûre, les sept équipes canadiennes n'ont aucun avantage à appuyer bêtement la ligne dure de Gary Bettman. Cette stratégie sans compromis représente une voie directe vers l'affrontement et ne sert pas leurs intérêts.

Comment le Canadien, par exemple, convaincra-t-il ses partisans du bien-fondé d'un lock-out? L'équipe est populaire comme jamais. Le système économique en vigueur ne l'étouffe pas, bien au contraire. L'augmentation du plafond salarial est même un atout pour s'extirper de la cave du classement.

Au Centre Bell, le secteur hockey demeure plus profitable que celui des spectacles. Le principal impact d'un lock-out sera de générer un manque à gagner important. Difficile à comprendre lorsqu'on sait que le groupe de M. Molson a versé environ 575 millions en 2009 pour acquérir l'organisation.

Les Maple Leafs de Toronto forment l'équipe la plus riche du circuit. Leurs nouveaux propriétaires, Bell et Rogers, veulent exploiter cet actif pour renforcer leurs parts de marché dans les médias numériques. Le lock-out ne fera que retarder la mise en place de leurs plans.

Et si deux géants comme Bell et Rogers ont versé un milliard pour acquérir 75% de Maple Leaf Sport&Entertainment en décembre dernier, c'est parce qu'ils sont à l'aise avec le modèle financier de la LNH.

Les Canucks de Vancouver? Ils n'éprouvent pas d'ennui d'argent. Leurs objectifs sont d'abord sportifs. Mais certains de leurs meilleurs joueurs, comme les frères Sedin, vieillissent. Une année perdue diminuera leurs chances d'accomplir leur rêve, la conquête de la Coupe Stanley.

Quant aux Oilers d'Edmonton, leurs exceptionnels jeunes attaquants leur permettent d'espérer une participation aux séries éliminatoires pour la première fois en sept ans. Leur compte de banque est si bien garni qu'ils ont accordé des contrats à long terme à Taylor Hall (42 millions) et Jordan Eberle (36 millions) au moment même où le commissaire dénonçait le système actuel.

Plus important encore: les Oilers n'ont toujours pas conclu d'accord avec les autorités publiques pour la construction de leur nouvel amphithéâtre. Un lock-out, qui noircira l'image des propriétaires et des joueurs, encouragera le cynisme de la population. Cela ne favorisera pas le déblocage du dossier avant l'échéance de janvier prochain.

Les Flames de Calgary ne sont certes pas les parents pauvres de la LNH. Ils profitent à plein de la vigueur de l'économie albertaine, où le taux de chômage n'est que de 4,4%. Pourquoi voudraient-ils d'un lock-out?

À Winnipeg, les Jets ont connu un succès retentissant à leur retour dans la LNH. Tous les sièges de leur amphithéâtre sont vendus pour les deux prochaines saisons. Établis dans le plus petit marché de la LNH, leurs affaires roulent si bien qu'ils ne sont pas éligibles au programme de partage des revenus!

Les Sénateurs d'Ottawa semblent parfois plus fragiles, mais ils ont tout de même accordé 45 millions pour sept ans à Erik Karlsson cet été. Et comme toutes les équipes canadiennes, ils profitent de la valeur du huard, qui se maintient à parité avec le dollar américain.

Comme groupe, les sept équipes canadiennes n'ont jamais été si bien portantes.

De la passion des fans au taux de change avantageux, du soutien des partenaires d'affaires à la concurrence entre les réseaux de télévision pour diffuser les matchs, leurs atouts n'ont jamais été si nombreux.

Pourquoi, dans ces conditions, voudraient-elles d'un lock-out qui suscitera la colère de leurs fans?

Pourquoi utiliser cette arme lourde alors que sa nécessité n'est pas démontrée?

En 2004-2005, les équipes canadiennes ont eu raison d'appuyer la fermeté de Gary Bettman. Elles souhaitaient l'établissement d'un plafond salarial. Ce mécanisme de contrôle des coûts était essentiel à leur sécurité financière.

Sept ans plus tard, les joueurs ne remettent pas cet acquis en cause. Les propriétaires des équipes canadiennes s'alignent néanmoins sur la position du commissaire sans regimber. Et cela, au mépris des retombées négatives dans leur propre marché.

Aucun propriétaire n'a encore expliqué aux partisans pourquoi la LNH envisage un lock-out. Ces gens d'affaires puissants semblent craindre Bettman. Celui-ci n'a qu'à brandir le spectre d'une amende et tout le monde rentre gentiment dans le rang. Dans le contexte actuel, cette attitude est invraisemblable.

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Alors, à qui profitera ce lock-out?

Certainement pas aux Rangers de New York, dont l'organisation vient d'investir un milliard dans la rénovation du Madison Square Garden.

Ni aux Bruins de Boston, qui ont lancé un vaste programme de réfection des loges du TD Garden; ni aux Kings de Los Angeles, qui misent sur la première Coupe Stanley de leur histoire pour consolider leur place dans le sport-spectacle en Californie.

Toutes ces organisations, à l'image des équipes canadiennes, auraient avantage à ce que des négociations sérieuses avec les joueurs aient lieu. Je ne dis pas d'accepter les yeux fermés la proposition de Donald Fehr. Mais elles devraient faire pression sur Gary Bettman pour que des pourparlers constructifs soient tenus.

À qui profitera ce lock-out? Hélas, aux seules équipes établies dans des marchés des États-Unis où le hockey demeure un sport de troisième niveau, comme Nashville, Columbus, Phoenix... Ces équipes pour qui Gary Bettman éprouve un si vif attachement.

Ce lock-out sera un lock-out américain. Au diable les partisans des équipes canadiennes...

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