Jennifer Abel n'était qu'une petite fille de 9 ans lorsqu'Émilie Heymans a remporté sa première médaille aux Jeux de Sidney, en 2000. Passionnée de plongeon, elle rêvait déjà de monter sur le podium olympique.

Douze ans plus tard, par un fabuleux coup du destin, c'est en compagnie de Heymans qu'elle a atteint son objectif.

«Quand notre médaille a été assurée, c'est d'abord à Émilie que j'ai pensé, a expliqué Jennifer. J'étais tellement contente pour elle. Elle avait la chance de passer à l'histoire. On ne voulait pas se laisser distraire par ça, mais on connaissait très bien l'enjeu...»

Cette réussite fait d'Émilie Heymans la première plongeuse à remporter une médaille dans quatre Jeux olympiques consécutifs. Elle devient aussi la première athlète d'été canadienne à accomplir cet exploit.

En recevant le bronze au son de la musique du film Les Chariots de feu, Heymans et Abel étaient radieuses.

Devant moi, dans les gradins du Centre aquatique, Mark Tewksbury contenait difficilement son émotion. «Quelle carrière phénoménale pour Émilie... J'étais tellement nerveux pendant la compétition!»

Chef de mission de l'équipe canadienne, Tewksbury a lui-même été un grand athlète. Il connaît parfaitement les efforts consentis par Heymans pour demeurer au sein de l'élite mondiale. Le plongeon est un sport dur, qui comporte une bonne dose de danger. Il faut une fougue peu commune pour s'entraîner si longtemps avec rigueur et intensité.

«Je n'aurais jamais pensé participer aux Jeux à l'âge de 30 ans, a expliqué Heymans. J'ai travaillé fort pour chacune de mes médailles. Mais j'avoue que celle-là est un peu différente puisque je passe à l'histoire. Je suis contente d'avoir vécu cette expérience avec Jennifer.»

Émilie Heymans est une femme discrète, peu encline à partager ses émotions devant un groupe de journalistes dans le sous-sol d'un amphithéâtre. On ne peut pas l'en blâmer. Mais on sentait sa fierté.

Et lorsque l'attachée de presse de l'équipe canadienne s'est tournée vers elle en lui tendant un téléphone - «Émilie, c'est ton père...» -, on a deviné son bonheur.

Comme ceux d'Émilie, les parents de Jennifer étaient dans les gradins. «Ils sont très fiers», a-t-elle dit, avant d'appeler son frère Andy, demeuré au Québec.

«C'est beaucoup à cause de mon grand frère que je fais du plongeon, m'a-t-elle déjà expliqué. Il pratiquait ce sport et je voulais l'imiter. Mes parents étaient d'accord, mais mon père souhaitait aussi que j'apprenne à me défendre. J'ai donc suivi des cours de karaté et de taekwondo.

«Mais c'est le plongeon qui me captivait. Je ne voulais pas manquer un seul entraînement. On ressent une telle charge d'adrénaline quand on est dans les airs et qu'on repousse ses limites...»

La carrière sportive de Jennifer Abel se résume ainsi: initiation au plongeon à 4 ans, entraînement sérieux dès 7 ans, première participation olympique à 16 ans et première médaille à 20 ans.

Cette feuille de route s'allongera, n'en doutons pas.

Derrière la réussite du duo Heymans-Abel, on devine le passage du flambeau.

De 10 ans la cadette d'Émilie, Jennifer représente l'avenir du plongeon canadien au tremplin de 3 mètres. Cette première médaille olympique lui fournit une motivation exceptionnelle pour la compétition individuelle présentée vendredi et samedi.

Émilie Heymans sera aussi de la partie, mais sa jeune partenaire connaît une meilleure saison.

«Je trouve ça beau ce mélange d'expérience et de jeunesse, a dit Sylvie Bernier, l'adjointe de Tewksbury. Ça donne beaucoup de force à une équipe. Sans Émilie, Jennifer n'aurait peut-être pas mérité une médaille si vite; inversement, Jennifer pousse toujours Émilie à s'améliorer.»

Mark Tewksbury était aussi heureux que l'équipe canadienne remporte une médaille dès le deuxième jour des Jeux. «Ça nous a souvent pris beaucoup plus de temps. Certains Jeux, il a fallu attendre six jours avant d'en gagner une. Le succès d'Émilie et Jennifer fera du bien à toute l'équipe canadienne.»

Cela dit, la compétition a été éprouvante pour les deux Québécoises. Le deuxième de leurs cinq plongeons, mal réussi, les a momentanément repoussées à la cinquième place.

«En faisant notre simulation au sol juste avant de plonger, on a été dérangées par des caméramen, a expliqué Heymans. Ça nous a déboussolées et nous avons perdu notre zone de confort.»

Abel a ajouté: «Il y avait beaucoup de stress sur le plancher. Avant les plongeons suivants, on a répété nos mouvements un peu plus loin...»

Ce mauvais coup du sort n'a pas diminué leur moral. L'incident illustre néanmoins à quel point une épreuve olympique est pointue. Le moindre détail peut influer sur le résultat final.

«La compétition est de cinq plongeons, a rappelé Heymans. Je savais que si on réussissait nos trois derniers, on monterait sur le podium.»

Cette conviction a sûrement rassuré Abel, qui a reconnu à quel point la nervosité l'a assaillie ces derniers jours. «J'en ai fait des cauchemars! Mais sur le tremplin, je me suis sentie très calme et concentrée.»

Émilie Heymans en est à ses derniers Jeux olympiques. Détentrice d'un diplôme de l'UQAM en commercialisation de la mode, elle dessine et confectionne des maillots de bain. La passion du plongeon l'habite toujours, mais elle a déjà posé les jalons afin de relever des défis stimulants.

Quand on lui demande quel héritage elle laissera à son sport, sa réponse tombe vite: «La persévérance.»

Cette qualité n'est pas seulement essentielle dans le sport. Émilie Heymans connaîtra aussi du succès dans sa prochaine carrière.