En apprenant la nouvelle, Maurice Richard n'avait pas caché sa satisfaction. Le Canadien rendrait hommage à Émile Butch Bouchard à l'occasion d'une visite des Red Wings de Detroit au Forum, le 28 février 1953.

Quelques jours plus tôt, dans sa chronique publiée dans l'hebdomadaire Samedi-Dimanche, le Rocket avait dit toute son admiration à l'endroit de son solide coéquipier, «un grand joueur de hockey de chez nous qui a donné 11 ans et tout son coeur à la cause du prestige des athlètes du Québec».

Le Rocket avait ajouté que Butch était «le meilleur joueur de défense du hockey moderne» et qu'il devrait «servir d'exemple à toute la jeunesse du pays».

À l'époque, les joueurs n'empochaient que de modestes salaires. «Ils étaient aimés du public et jouaient surtout pour la gloire» rappelle Pierre Bouchard, fils d'Émile et ancien populaire défenseur du Canadien. «Mon père et Maurice ont déjà dû se battre afin que leur salaire soit augmenté de 9500 $ à 10 000 $...»

Dans ce contexte frugal, des fêtes étaient organisées pour souligner la contribution des héros de l'équipe. On les couvrait alors de cadeaux. Les joueurs appréciaient cette attention.

Dans sa chronique, le Rocket souligna que Butch, comme Elmer Lach et lui-même, se souviendrait avec émotion «de la gratitude de nos compatriotes pour le spectacle sportif qu'on leur a servi au meilleur de notre jeunesse».

Pierre Bouchard avait 5 ans lorsque son père fut ainsi honoré. Son frère Michel et lui étaient assis dans la Buick Roadmaster qui fut conduite au centre de la glace. Cette voiture était le plus important des 68 cadeaux remis à Butch. Ils en sortirent en tenant un chien poodle, une attention de Zotique Lespérance, de la Brasserie Molson. «Ce fut une scène vraiment impressionnante», écrivit le Montréal-Matin.

Même s'il était un jeune enfant, Pierre Bouchard n'a rien oublié de cette soirée magique. Elle compte parmi les beaux souvenirs de la famille Bouchard.

«Tu sais, mon père n'est pas mort des suites d'une longue maladie, mais plutôt des suites d'une longue vie. Il a mené l'existence qu'il souhaitait. Jusqu'au bout, il est demeuré une force de la nature. Il devait venir à ma ferme aujourd'hui...»

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Émile Bouchard a remporté quatre Coupes Stanley et défendu l'honneur du maillot tricolore aux quatre coins de l'Amérique. Mais il était d'abord un père de famille.

«Mes plus beaux souvenirs de mon père? Lorsqu'on descendait dans le Maine pour les vacances d'été sur le bord de la mer, explique Pierre. Je me souviens aussi des cours de danse qu'il suivait dans le sous-sol de la maison. Jean Béliveau, Zotique Lespérance et le lutteur Larry Moquin venaient le rejoindre. Ces gars-là n'étaient pas tous très souples!»

En 1955-1956, Émile Bouchard a complété son extraordinaire carrière avec le Canadien.

«Toe Blake lui avait demandé de jouer une année supplémentaire pour aider les jeunes, des gars comme Jean-Guy Talbot, raconte Pierre. Mais il a souvent été blessé et n'a disputé que 36 matchs. Son salaire était de 15 000 $ et le Canadien lui avait promis 1000 $ supplémentaires s'il connaissait une bonne saison.»

Après la victoire du Canadien en finale de la Coupe Stanley, Émile Bouchard se rendit au bureau de Frank Selke, alors directeur général de l'équipe, pour savoir ce qui arriverait du boni. «Selke a dit à mon père que le Canadien avait connu une bonne saison, mais pas lui. Alors il n'a pas recu les 1000 $.»

L'attitude de Selke a heurté Émile Bouchard, qui s'était défoncé sans compter pour son équipe durant sa carrière. Un an plus tard, en devenant propriétaire du Canadien, le sénateur Hartland de Montarville Molson apprit ce qui s'était produit. Il fut secoué. Il savait que ce n'était pas une manière de traiter un fidèle capitaine.

Hartland était le grand-oncle de Geoff Molson, l'actuel propriétaire du Canadien. L'histoire a finalement bien fait les choses. Le 4 décembre 2009, c'est Geoff qui rendit à Émile Butch Bouchard l'ultime hommage d'une organisation à un joueur méritant, soit le retrait de son chandail.

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Si le hockey a fait connaître Émile Bouchard, le baseball a aussi constitué une de ses passions.

Peu après sa retraite, il a été nommé président des Royaux de Montréal, de la Ligue internationale. Pierre se souvient d'avoir accompagné son père à de nombreux matchs et rencontré des légendes comme Tommy Lasorda et Sparky Anderson.

«Lorsque l'aventure des Royaux a pris fin, mon père a pris les moyens pour que les uniformes des joueurs et le système d'éclairage du stade DeLorimier soient remis aux loisirs de la Ville de Longueuil», rappelle Pierre.

Les liens d'Émile Bouchard avec la Rive-Sud de Montréal ont toujours été serrés. C'est dans la cathédrale de Longueuil qu'auront lieu les funérailles de l'ancien capitaine, samedi.

Il y aura de la musique. Car Émile Bouchard aimait la musique, surtout celle de Willie Nelson. Il appréciait aussi Daniel Boucher. Un jour, alors que l'auteur-compositeur-interprète s'est arrêté au Salon des anciens joueurs, Émile lui a dit à quel point il aimait une de ses chansons. Ce témoignage a ému Daniel Boucher.

«Mais sa pièce de prédilection était Unforgettable de Nat King Cole, dit Pierre. Je pense bien qu'on l'entendra samedi.»

Un des couplets de cette belle chanson se traduit ainsi:

Inoubliable

De toutes les manières,

Et pour toujours

C'est ainsi que tu demeureras.

Ces quatre lignes semblent avoir été écrites pour l'ancien capitaine du Canadien.