Une équipe de la LNH n'est pas encore de retour à Québec mais l'effet «Nordiques» frappe déjà le Canadien.

En donnant un coup de balai au sein de son personnel hockey et en appelant Serge Savard en renfort, Geoff Molson veut d'abord relancer son équipe, en pleine dérive depuis décembre. Mais il affûte aussi ses armes en vue d'une éventuelle rivalité avec les Fleurdelysés.

En conférence de presse hier, Geoff Molson a dissocié les deux dossiers. Mais ses propos illustrent que le possible retour des Nordiques occupe désormais ses pensées.

«Les décisions d'aujourd'hui n'ont rien à voir avec la situation à Québec, a-t-il dit. Mais le potentiel devient de plus en plus clair que Québec ait un jour une équipe. Ce sera une opportunité de rebâtir la rivalité entre Québec et Montréal que j'ai vécue lorsque j'étais jeune. Et j'ai adoré ça.»

Bien sûr, il est prématuré de croire à la renaissance imminente des Nordiques. La LNH cherche toujours des investisseurs voulant garder les Coyotes à Phoenix. Même en cas d'échec, Gary Bettman pourrait attendre une autre année avant d'autoriser le transfert de la concession, le temps de régler la prochaine convention collective.

En revanche, un déménagement rapide à Québec après l'élimination des Coyotes ce printemps n'est pas un scénario farfelu. En organisation prudente, le Canadien doit l'envisager. Voilà aussi pourquoi Geoff Molson ne peut attendre trop longtemps avant de trouver des remplaçants à Pierre Gauthier et à Randy Cunneyworth.

Cela est d'autant plus vrai qu'un nom, qui suscite déjà l'intérêt des partisans du Canadien, ferait aussi rêver ceux des Nordiques. Celui de Patrick Roy, évidemment.

Notre sondage d'aujourd'hui est éloquent. L'ancien numéro 33 est considéré comme le meilleur candidat au poste de DG, même s'il avoue préférer le rôle d'entraîneur. À lui seul, Roy récolte 38% des appuis populaires, autant que les cinq autres noms proposés. C'est énorme.

Comme entraîneur, Roy génère encore plus d'enthousiasme. Il récolte 44% des votes, soit 30 points de pourcentage de plus que son plus proche poursuivant, Bob Hartley. Compte tenu que sept noms étaient mentionnés, il s'agit presque d'un raz-de-marée.

Bref, si Roy est dans la mire du Canadien, l'organisation doit vite prendre rendez-vous.

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Le retour au bercail de Serge Savard est une excellente nouvelle pour le Canadien. Dans le contexte actuel, où l'organisation s'est éloignée du public, son mandat de conseiller spécial de Geoff Molson prend une puissante valeur symbolique.

«Ça me fait plaisir de donner un coup de main, lance-t-il, à l'autre bout du fil. Je suis heureux d'aider l'équipe à prendre une nouvelle direction.»

Savard était en Caroline-du-Sud, hier, mais il n'a rien manqué de l'allocution de Geoff Molson. Il a noté que le président du Canadien s'est d'abord longuement exprimé en français.

Compte tenu du désastre qu'a constitué l'annonce de la nomination de Randy Cunneyworth au poste d'entraîneur-chef, il n'y a pas vu une coïncidence.

Geoff Molson n'a pas promis que le prochain DG du Canadien parlerait français, se contentant de dire que ce serait «préférable». Savard a été beaucoup plus clair. «Il ne doit pas nécessairement être francophone, mais il doit très bien parler le français, a-t-il expliqué. Pas simplement dire quelques mots. C'est certainement un des critères de sélection.»

C'est la semaine dernière que Geoff Molson a donné un coup de fil à Savard, lui demandant un entretien. La rencontre a eu lieu au Centre Bell, mais pas au bureau du président. Les deux hommes ont choisi un endroit plus discret.

En conviant Savard à cette rencontre, Geoff Molson a montré une belle ouverture d'esprit. Sur une foule de sujets, il savait que l'ancien DG tiendrait un discours différent de ceux de Bob Gainey et de Pierre Gauthier. Pour le Canadien, l'époque de la pensée unique a pris fin à ce moment.

Qu'il s'agisse de la place des francophones au sein de l'organisation, de la stratégie de communication des gens de hockey ou des priorités de recrutement, les idées de Savard se situent à l'opposé de celles du duo Gainey-Gauthier.

Pour Geoff Molson, cette conversation a sans doute été difficile. Car Savard, un homme de conviction, lui a donné sans détour son opinion sur les ratés du Canadien. Suffit de relire l'excellente entrevue qu'il a accordée à ma collègue Nathalie Collard, dans notre numéro du 24 décembre dernier, pour deviner des bouts de la conversation.

Voyez cet extrait: «Ce que je reproche au Canadien, c'est que depuis 1995, le club s'est complètement éloigné du Québec, de la Ligue de hockey junior majeure, des talents locaux. Je reprends l'exemple de Claude Giroux. Le Canadien l'a vu passer devant lui, il n'était pas caché, mais il l'a laissé passer. Or, c'était le premier compteur de la Ligue de hockey junuor majeure du Québec.»

Serge Savard incarne non seulement le succès sur la glace, mais aussi le respect des partisans. En décembre, il n'a pas hésité à dire haut et fort son désarroi à la suite de la nomination de Cunneyworth, un unilingue anglophone.

«Je n'aurais jamais eu le réflexe de faire ça, avait-il déclaré. Par respect pour 80% des partisans de l'équipe. Et parce que l'équipe appartient au peuple.»

Ce commentaire tranchant a sûrement ébranlé Geoff Molson. Parce qu'il venait d'un homme d'expérience, apprécié du public, et aimant à la fois le Québec et le Canada.

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Alors, qui sera le futur DG? Savard répond simplement que Geoff Molson et lui se mettent maintenant à sa recherche. Mais il ajoute deux éléments intéressants à propos de son propre parcours.

«Je suis devenu directeur général deux semaines après avoir accroché mes patins. Comme DG, je pensais comme un joueur et ça m'a valu leur respect, un atout important.

«Ensuite, j'ai toujours répondu aux questions des journalistes. Même ceux qui étaient le plus dur à mon endroit. C'est un aspect du métier. Et quand tu parles aussi aux journalistes des autres villes, tu finis toujours par apprendre des petites choses sur tes adversaires.»

Bref, le prochain DG devra être un bon communicateur. Geoff Molson l'a reconnu. À ce niveau, a-t-il dit, le Canadien possède «une occasion en or» d'affiner ses stratégies.

Âgé de 66 ans, Savard se sent d'attaque pour ce nouveau mandat, qui lui permet de réintégrer l'organisation par la grande porte. Le poste de DG ne l'intéresse pas lui-même. Mais on devine qu'il aimerait demeurer associé à l'équipe une fois le nouvel homme en place. «On verra, je ne veux pas spéculer là-dessus.»

Malgré son absence du hockey depuis 1995, il ne redoute pas la tâche. «J'ai encore beaucoup de contacts dans la LNH. C'est un p'tit monde, tu sais. Je serai vite à jour.»

Le Canadien, n'en doutons pas, a pris un grand virage hier. Il se rapprochera de ses fans et, si Québec obtient une équipe, sera mieux équipé pour affronter la concurrence.

«Je ne suis pas dans le secret des dieux, ajoute Savard. Mais si une équipe revient à Québec, ça va changer bien des choses. Le monopole du Canadien depuis 1995 n'existera plus. La compétition rend tout le monde meilleur.»

Pour la première fois depuis le 17 décembre dernier, l'espoir renaît chez le Canadien. Cela explique pourquoi, malgré les décisions difficiles des derniers jours, Geoff Molson a semblé soulagé en quittant les journalistes, hier: «On recommence à bâtir!»

La tâche est colossale, mais on devine un plan. Il est temps. Car une autre donnée de notre sondage parle fort: 43% des Québécois se sentent moins attachés à l'équipe en raison de ses insuccès cette saison.

Geoff Molson devait agir. Que les Nordiques reviennent ou pas.

Photo: Bernard Brault, archives La Presse

La première Coupe Stanley de Serge Savard comme DG du Canadien en 1986.