Depuis des mois, on sait que ça ne tourne pas rond dans la construction au Québec. On connaît les combines pour gonfler artificiellement les prix, on devine la force de cette économie souterraine échappant à tout contrôle.

N'empêche qu'il a fallu le rapport de Jacques Duchesnau pour mesurer l'ampleur de la catastrophe. Dans son document-choc, le shérif préféré des Québécois a présenté des faits inquiétants. Sa synthèse a raffermi notre indignation. Elle a aussi bousculé le gouvernement, qui devra agir sous peine de perdre toute crédibilité. Cela crée de l'espoir.

En lisant le texte éclairant de Ken Dryden à propos des coups à la tête, dont de larges extraits sont publiés dans nos pages Forum aujourd'hui, j'ai compris que la LNH a désormais son rapport Duchesneau. Si Jean Charest ne peut ignorer les conclusions de l'ancien policier, Gary Bettman ne peut balayer celles de l'ancienne légende du hockey.

Comme Duchesneau, Dryden est reconnu pour son intégrité et sa maîtrise des dossiers.

Comme Duchesneau, il pose froidement le problème.

Comme Duchesneau, il conclut que la situation actuelle doit cesser.

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La formule-choc ne constitue pas l'arme de Dryden, avocat et ancien ministre du gouvernement fédéral.

Ses propos pour dénoncer les coups à la tête sont écrits dans un style sobre et efficace. Il n'accuse pas, mais constate sans complaisance leurs terribles effets.

Dryden interpelle Gary Bettman. Il rappelle au commissaire de la LNH ses responsabilités en tant que «gardien de l'intégrité du hockey» et le met en garde contre la tentation de reléguer le problème aux oubliettes.

«Pour Gary Bettman, le défi est de ne pas se laisser distraire par l'histoire, par les voix de ceux qui, contrairement à lui, ont grandi dans le hockey, ou par le poids du statu quo.»

Il indique que Roger Goodell, commissaire de la NFL, doit aussi effectuer une prise de conscience. À mots à peine voilés, il demande aux deux hommes de mettre de l'ordre dans leurs priorités.

«Aujourd'hui, tout commissaire d'une ligue de hockey ou de football, à moins de se laisser distraire par les mille et un dossiers empilés sur son bureau, et de leur accorder une priorité qu'ils ne méritent pas, ne peut ignorer que pendant l'année en cours, et l'année suivante, et chaque année, des joueurs souffriront d'une blessure à la tête...»

Dryden ajoute: «Quelques joueurs retraités mourront bien avant leur heure, après avoir subi, et fait subir à leur famille, l'enfer d'années de démence. Je ne suis pas alarmiste. C'est le problème qui est alarmant.»

Il évoque la menace qui plane sur notre sport national. Les parents, dit-il, choisiront pour leurs enfants d'autres sports que le hockey, qui sera «de plus en plus regardé sans être joué».

Dryden propose des solutions. Il suggère à Bettman d'établir un principe: tout coup à la tête doit être assimilé à une tentative de blesser. Ce sera au joueur coupable de renverser cette présomption.

Le texte de Dryden est particulièrement habile à propos des bagarres. Doit-on les interdire? À son avis, ce n'est pas la manière d'examiner le problème. Il faut plutôt analyser leurs effets. «Dans une bataille, la tête n'est-elle pas visée? N'est-elle pas le point de contact principal?»

En clair, si la LNH veut enrayer les coups à la tête, elle ne pourra faire autrement que de stopper les bagarres. Ce débat perd ainsi son émotivité.

La mort à l'été de trois joueurs de la LNH a interpellé Dryden. Sans tirer de conclusion sur les motifs ayant conduit à ces morts violentes, il pose deux questions nécessaires.

«Pourquoi l'autopsie des cerveaux de Reggie Fleming et de Bob Probert, deux bagarreurs ayant sévi à deux époques différentes, a-t-elle permis de démontrer des dommages au cerveau?

«Pourquoi est-ce que trois durs à cuire de notre époque, Derek Boogaard, Rick Rypien et Wade Belak, de jeunes hommes riches qui avaient toute la vie devant eux, se sont suicidés dernièrement? Nous n'avons pas la réponse, mais nous savons qu'il faut la chercher.»

La LNH, après des années de silence, envisage enfin de trancher sur les bagarres. Dans une entrevue au réseau CBC rendue publique hier soir, Brendan Shanahan, nouveau vice-président à la sécurité des joueurs, a déclaré que le circuit étudiait cette question «de très près». Pour le circuit Bettman, la simple reconnaissance du problème s'apparente à une révolution.

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Au fil des années, l'influence de Gary Bettman au sein de la LNH est devenue énorme. Officiellement, il est au service des propriétaires. Dans les faits, il mène le jeu.

Publiquement, Bettman saluera sans doute la contribution de Dryden au débat. Mais au fond de lui-même, il n'appréciera pas ce texte le plaçant sur la sellette.

Bettman est un adepte de la contre-attaque. On l'a bien vu dans l'affaire Chara-Pacioretty, lorsqu'il a lancé une charge contre Air Canada, ou dans l'affaire des Coyotes de Phoenix, lorsqu'il est allé en cour pour empêcher Jim Balsillie d'acheter l'équipe.

Dans ce cas-ci, Bettman rappellera le protocole mis en place, en mars dernier, pour traiter les commotions cérébrales. Il évoquera le renforcement des règlements, et la sévérité des suspensions décernées par Brendan Shanahan durant les matchs préparatoires.

Le commissaire n'aura pas tout à fait tort, surtout à propos de Shanahan, qui montre un courage évident malgré les critiques grandissantes. L'opinion de Martin Brodeur, qui a dénoncé les sentences musclées de Shanahan, est sûrement partagée par beaucoup de gens de hockey.

Cela dit, cette réaction prévisible passera à côté du problème. Dryden ne propose pas de hausser la répression, mais plutôt de corriger le mal à sa racine. Et, ultimement, de changer la culture du hockey.

«Les plus médiocres vont protester, ils ont peur de ne pouvoir s'adapter, et habituellement cette approche est suffisante pour tout arrêter, écrit-il. Mais aujourd'hui, nous n'avons plus le choix.»

Dryden n'utilise pas les mots «tolérance zéro» pour les coups à la tête, mais il s'en approche. Il ne réclame pas formellement la fin des bagarres, mais son raisonnement l'y mène. Et il réclame un coup de barre pour assurer que le hockey conserve son attrait auprès des jeunes et de leurs parents.

Lorsqu'on lit les articles de Michel Marois et Mathias Brunet, publiés dans ces pages, comment ne pas être d'accord avec lui? Comment ne pas reconnaître que la LNH, dont l'influence est déterminante au sommet de la pyramide hockey, a encore un immense chemin à franchir? L'effet Shanahan est prometteur, mais une culture ne se change pas en une poignée de matchs préparatoires.

Le parcours académique et sportif de Dryden, ses réalisations professionnelles et son engagement dans la société font de lui un homme respecté au Canada et aux États-Unis. Sa décision de plonger dans ce débat est bienvenue.

Pour progresser, la LNH, comme tout autre organisme, a besoin de contre-pouvoirs sachant remettre intelligemment en cause son action. Même si elle préférerait en faire l'économie.

Non, Bettman n'appréciera pas le texte de Dryden. Mais il ne pourra ignorer cette voix puissante qui renforce un courant de pensée de plus en plus dominant, et auquel Brendan Shanahan fait écho. La LNH devra agir.

Photo: AP

Marc Savard, des Bruins, est un des nombreux joueurs à avoir subi une commotion cérébrale au cours des dernières années.