Lorsqu'on gère un tournoi de tennis comme la Coupe Rogers, il faut de l'imagination. Chaque année apporte son lot de défis. L'an prochain, par exemple, la compétition s'amorcera trois jours après le match de la médaille d'or des Jeux de Londres. Les meilleures joueuses du monde, encore sous le coup de la fièvre olympique, devront recharger leur batterie et mettre le cap sur Montréal. À première vue, la recette semble idéale pour entraîner une pluie de forfaits.

Qu'à cela ne tienne, en accord avec l'Association des joueuses professionnelles (WTA), Eugène Lapierre et son équipe ont trouvé une solution pour limiter les dégâts. Le tournoi sera décalé d'une journée. Il s'amorcera le mardi. Résultat, la finale sera présentée le lundi soir plutôt que le dimanche après-midi.

«Ce ne sera pas Monday Night Football, mais Monday Night Tennis, lance Lapierre. Nous avons aussi négocié avec la WTA un tableau de 48 joueuses, plutôt que 56. Techniquement, cela permettra aux 16 meilleures du classement d'amorcer le tournoi le jeudi. Celles qui auront participé à la finale olympique auront retrouvé leurs forces. Elles profiteront de près d'une journée de repos par heure de décalage horaire. Les filles ne pourront pas dire qu'elles sont trop fatiguées pour venir à Montréal.»

De ce côté, Montréal aura l'avantage sur Toronto. L'ATP, qui dirige le circuit masculin, n'a pas voulu reporter la finale au lundi. Elle aura lieu le dimanche comme à l'habitude, mais en soirée.

Peu importe ces aménagements, les deux tournois seront confrontés à l'écrasante force médiatique des Jeux olympiques, qui ne seront pas terminés au moment où s'amorceront les deux tournois. «C'est sûr que ce n'est pas l'idéal, reconnaît Lapierre. On ne souhaite pas que ce soit ainsi tous les quatre ans. Mais au moins, on a réussi à sortir notre finale du show olympique.»

Cela ne dupe pas les amateurs sur place. Mais à la télévision, on n'y voit que du feu. Même les publicités au fond des courts ont été harmonisées. Les matchs s'enchaînent, on surveille d'abord Novak Djokovic et ensuite Kim Clijsters. La distance entre les deux villes n'a plus d'importance. Et tant pis si la couverture journalistique est réduite parce que les deux tournois sont bouclés en une semaine plutôt que deux. L'important, c'est l'impact télévisuel. Pour les commanditaires aussi.

Dans l'esprit d'Eugène Lapierre, et il a sans doute raison, le potentiel de cette nouvelle formule est immense, même si les résultats ne seront pas immédiats.

«Les deux volets du tournoi étant concentrés en une semaine, les gens savent qu'ils verront beaucoup de tennis, dit-il. Le nombre d'heures de télédiffusion sera presque aussi élevé. Et étant donné que les réseaux exploitent désormais plus d'une antenne chacun, les amateurs choisiront le match qui les intéresse. RDS, par exemple, pourra éventuellement utiliser RDS-2 pour diffuser plus de matchs.

«L'autre avantage, poursuit Lapierre, c'est qu'il n'y aura plus de temps mort dans l'horaire de la journée. Nous aurons du tennis mur à mur du midi au soir, plutôt que trois rencontres. Cela donnera une semaine de tennis plus active. On fait le pari que cela augmentera les cotes d'écoute.»

L'équation est simple à comprendre: plus les cotes d'écoute sont élevées, plus les revenus sont en hausse. À cela s'ajoutent les droits de télé internationaux. Actuellement, les montants versés pour les tournois masculins sont près de 10 fois plus élevés que pour les tournois féminins, précise Lapierre.

Cela peut changer, évidemment. À l'époque où Martina Hingis se débattait contre les soeurs Williams fraîchement débarquées sur le circuit, le tennis féminin générait un intérêt extraordinaire. Aujourd'hui, les hommes ont repris le dessus. Mais l'histoire démontre que rien n'est fixé dans le béton.

Un jour, peut-être, l'ATP et la WTA négocieront ensemble leurs droits de télévision pour leurs principaux tournois, les Masters (hommes) et les Premiere (femmes). Cette approche pourrait augmenter les revenus. On n'en est pas encore là. Mais l'avenir est aux tournois mixtes. Montréal et Toronto n'avaient pas vraiment le choix.

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Oui, de l'imagination. Lapierre et son groupe en ont aussi fait preuve en érigeant une estrade de 900 places dans le parc Jarry, en bordure du complexe de tennis. Collées sur le court numéro 9, ces 900 places permettent de voir du tennis professionnel sans débourser un seul dollar.

«Notre but, c'est que personne ne nous dise que les billets sont trop chers pour assister au tournoi, explique Lapierre. Lundi, Rafael Nadal a joué en double sur ce terrain!»

Cette initiative remarquable, Lapierre, la qualifie «d'idée de fou». Elle mûrissait dans sa tête depuis longtemps. Le grand manitou de la Coupe Rogers n'a pas oublié son enfance à Granby, où il assistait au Championnat du Québec, qui réunissait des joueurs de plusieurs pays. «Si j'avais dû payer 1$ pour entrer, je n'y serais jamais allé...»

Promouvoir le tennis et financer son développement constituent les deux objectifs du tournoi. Les yeux de Lapierre s'allument lorsqu'il évoque le plaisir de jouer. «Au niveau international, il existe même des tournois réservés aux gens de 90 ans et plus. Un jour, un match a opposé un homme de 94 ans à un autre de 90. Le plus jeune a gagné. En lui serrant la main après le match, son aîné lui a dit: «Hé que j'aimerais ça avoir 90 ans de nouveau!»»

Oui, le tennis garde jeune.

Photo: PC

Le tournoi féminin s'amorcera le mardi plutôt que le lundi à Montréal l'an prochain. Et les 16 meilleures ne devraient pas jouer avant le jeudi. Ci-dessus, la Slovaque Dominika Cibulkova.