Lorsque Lorraine Lafrenière a compris que les essais canadiens de canoë-kayak étaient compromis, elle s'est tournée avec espoir vers la mairie de Montréal. C'était sa dernière carte. À l'hôtel de ville, croyait-elle, on voudrait sûrement l'aider.

Directrice générale de la Fédération canadienne, Mme Lafrenière a appelé le cabinet du maire. Au responsable à l'autre bout du fil, elle a expliqué le problème: dans 3 jours, plus de 300 athlètes et accompagnateurs devaient débarquer au bassin olympique du parc Jean-Drapeau pour cette importante compétition, prélude aux qualifications en vue des Jeux olympiques de 2012.

Les réservations d'avion et d'hôtel étaient effectuées depuis des mois. De plusieurs villes canadiennes, les camions transportant les embarcations s'apprêtaient à se diriger vers Montréal. Et voilà que des travaux d'urgence au bassin étaient en voie de tout bousiller.

Compte tenu de l'urgence de la situation, était-il possible de trouver une solution? Le maire de Montréal, Gérald Tremblay, pouvait-il donner un coup de main?

Mme Lafrenière n'a pas pris en note le nom de l'adjoint au maire à qui elle s'est adressée. Elle se souvient simplement que celui-ci, après avoir écouté son plaidoyer, a mis son appel en attente. Lorsqu'il a repris le combiné, sa réponse a été celle d'un vrai bureaucrate: pourriez-vous nous expliquer tout cela par écrit?

Mme Lafrenière a compris sur-le-champ le sens de cette réponse. Il s'agissait d'une fin de non-recevoir, doublée d'un profond je-m'en-foutisme. Après tout, le sport d'élite, son impact sur la jeunesse et ses retombées sociales et économiques, qu'est-ce qu'on s'en fout à l'hôtel de ville...

* * *

La semaine dernière, mon collègue Simon Drouin a raconté ce triste épisode. Ces essais devaient être tenus le week-end dernier au bassin olympique.

Mais des ennuis majeurs avec l'alimentation en électricité ont forcé leur déplacement à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse. Les réparations devaient être effectuées sur-le-champ, d'autant plus que la Formule 1 prendra d'assaut l'île Notre-Dame le mois prochain. Ces travaux étaient essentiels à la préparation du site.

Ça, tout le monde le comprend, Mme Lafrenière aussi. Pas besoin d'être économiste pour réaliser qu'entre l'impact du Grand Prix et celui des essais canadiens en canoë-kayak, le choix est facile.

Mais, comme c'est souvent le cas dans la vie, tout est dans la manière. Et la façon dont Montréal a agi dans ce dossier démontre son insensibilité complète face au sport amateur.

Imaginez si le même problème était survenu à Québec, qui a fait du sport un axe de son développement. On peut être sûr que le maire Labeaume, en étroite collaboration avec les gens d'Équipe Québec, aurait rencontré Mme Lafrenière pour l'aider à trouver une solution de rechange. À Montréal, on lui a plutôt montré du mépris.

Non seulement le bureau du maire l'a laissée en plan, mais la Société du parc Jean-Drapeau, l'organisme para-municipal qui gère le bassin olympique, n'a pas pris contact avec elle depuis cet événement. Les gens de canöe-kayak perdent 100 000$ dans l'aventure, eux qui ne roulent déjà pas sur l'or.

Nathalie Lessard, porte-parole du parc Jean-Drapeau, indique qu'il s'agit, selon la Société, d'un cas de force majeure. Et que le contrat liant la Fédération de canoë-kayak à la Société dégage celle-ci de toute responsabilité dans des situations pareilles.

Mme Lessard m'a expliqué la séquence des événements. Je ne doute pas que, dans les circonstances, les décisions prises se défendent. N'empêche que son récit est drôlement représentatif des problèmes de Montréal.

Voyez un peu: la Société du parc Jean-Drapeau compte ses propres cols bleus, mais ceux-ci ne peuvent toucher aux infrastructures souterraines, du ressort exclusif de leurs collègues de la Ville de Montréal.

Et au moment d'une réparation, les travaux sont souvent difficiles en raison de la vétusté des installations. «Parfois, les pièces à remplacer n'existent même plus», dit Mme Lessard.

Cela dit, le manquement se situe à un autre niveau. Si au moins quelqu'un de haut placé, à la mairie de Montréal ou à la Société du parc Jean-Drapeau, avait manifesté officiellement son empathie aux gens de canoë-kayak, cela aurait montré du respect.

Ceux-ci ont plutôt été traités cavalièrement. Et s'ils ont le malheur de se plaindre, on les renvoie aux termes de leur contrat. Vous pouvez être sûr que les gens de Formule 1 seront reçus avec plus d'égards.

Le sport d'élite canadien compose un petit milieu où tout le monde connaît tout le monde. Lorsque les gens de canoë-kayak discuteront avec leurs homologues des autres sports, ils raconteront le traitement reçu à Montréal. Il s'agira d'un autre oeil au beurre noir pour notre ville. L'épisode laissera des traces.

«Il y a souvent de la tension à Montréal entre les gens voulant organiser des compétitions importantes et ceux qui gèrent les infrastructures», note avec raison Mme Lafrenière.

* * *

Au Québec, on n'a jamais senti un engagement aussi fort envers le développement du sport d'élite.

Le gouvernement provincial est un leader canadien dans le domaine. L'Institut national du sport est en voie d'être créé. Plusieurs entreprises québécoises contribuent au financement des athlètes. Et c'est ici que B2Dix, une initiative audacieuse visant à appuyer nos champions, a vu le jour.

Partout au Québec, des passionnés répondent à l'appel pour faire avancer les choses. Mais à l'hôtel de ville de Montréal, on met les gens en attente, au sens propre comme au sens figuré. Lorraine Lafrenière peut en témoigner.