Une série entre les Bruins et le Canadien, c'est une scène construite pour les exploits.

Aucune autre rivalité n'offre pareille occasion d'entrer dans la légende du hockey. Les matchs sont durs et épuisants. Mais ils permettent aux meilleurs joueurs, et aux plus courageux, d'inscrire leur nom dans l'histoire.

En 1977, par exemple, Guy Lafleur a démontré qu'il était l'attaquant le plus doué de son époque dans une série contre les Bruins. C'était lors du troisième match de la finale de la Coupe Stanley, au vieux Garden. Les Bruins avaient promis de lui arracher la tête. «Lafleur ne sortira pas vivant du Garden si je me trouve sur la glace en même temps que lui», avait déclaré le subtil John Wensink, leur matamore de service.

Dans son livre L'ombre et la lumière, l'auteur Georges-Hébert Germain raconte la suite des choses: «Ce soir-là, les Canadiens se présentèrent au Garden dans un état de tension extrême. L'amphithéâtre était survolté. La menace de Wensink avait excité la foule. On voulait du sang.»

Lafleur ne recula pas, bien au contraire. «Il joua ce soir-là une des plus grandes parties de sa carrière, poursuit Germain. Après quatre minutes de jeu, il déjoua Cheevers une première fois. Il aura deux buts, deux passes. Les Canadiens gagneront 4 à 2, Lafleur participant à chacun des buts des siens.»

Deux ans plus tard, nouvel exploit de Lafleur, dans le septième match de la demi-finale. Il égala la marque en fin de troisième période durant une pénalité aux Bruins, coupables d'avoir eu trop de joueurs sur la patinoire. En prolongation, Yvon Lambert devint le héros en marquant avec l'aide de Mario Tremblay et de Réjean Houle.

Oui, ce furent des séries âprement disputées. Mais elles forgèrent le caractère des joueurs et s'inscrivirent à jamais dans leur mémoire et dans celle de leurs fans.

Une série entre les Bruins et le Canadien n'est jamais une affaire banale. C'est plutôt l'ajout d'un chapitre à une fascinante saga.

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Le printemps 2011 ne fait pas exception à la règle. Encore une fois, les deux vieux rivaux nous offrent du hockey serré et endiablé. Le match de samedi a constitué un classique du genre. Aucune équipe ne compte un Guy Lafleur en ses rangs, mais les joueurs patinent avec énergie.

Bien sûr, cette défaite fut crève-coeur pour le Canadien. Perdre en deuxième période de prolongation donne un coup au moral. Heureusement, le Canadien profite de 48 heures pour panser ses plaies, physiques et mentales.

Le défi auquel l'équipe fera face demain est redoutable. Stopper la poussée des Bruins, vainqueurs des trois dernières rencontres, et forcer la présentation d'un ultime affrontement, dès le jour suivant, à Boston.

Pour cela, il faudra qu'un joueur veuille s'imposer et tailler sa place dans l'histoire. Au fond, la question est simple: qui pour réussir l'exploit?

Du côté des Bruins, la réponse à cette question se dessine nettement depuis deux rencontres. Tim Thomas, avec son caractère d'acier et ses arrêts miraculeux, a donné son rythme aux Bruins.

Thomas aurait pu s'effondrer au Centre Bell, jeudi, lorsque le Canadien a attaqué sans arrêt durant les 28 premières minutes de jeu. Pas du tout. Il a gardé son équipe dans le match, même s'il devait se sentir bien seul devant sa cage. Et au bout du compte, le vent a tourné et l'avance de deux buts du Canadien a fondu comme neige au soleil.

Puis, samedi, c'est de nouveau Thomas qui a porté les Bruins. Son arrêt miraculeux aux dépens de Brian Gionta, une poignée de secondes avant le but vainqueur de Nathan Horton, est de ceux que personne n'oubliera.

Si les Bruins éliminent le Canadien demain, c'est cet arrêt qui aura fait la différence. Voilà la marque d'un grand joueur: sous pression, malgré la fatigue et le stress, accomplir le miracle.

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Y a-t-il un Tim Thomas chez le Canadien? Un joueur qui s'emparera de cette scène incomparable pour s'imposer dans le rôle-titre?

Chose sûre, il serait temps qu'un attaquant se lève. Carey Price a été très bon jusqu'à maintenant, parfois même excellent. Mais il souffre du peu de punch en attaque de ses coéquipiers.

Brian Gionta n'a pas marqué depuis le premier match de la série. Michael Cammalleri mène les siens au classement des pointeurs, mais il n'est pas aussi opportuniste qu'au printemps dernier. Tomas Plekanec? Solide défensivement, il n'a cependant réussi qu'un seul but.

Scott Gomez? Pourtant si talentueux, il démontre simplement que dans le hockey d'aujourd'hui, impossible d'attendre le début des séries pour actionner le démarreur. Lorsque le moteur tourne au ralenti depuis trop longtemps, cela laisse des traces.

Ces quatre joueurs, ne l'oublions pas, comptent pour 40% de la masse salariale du Canadien cette saison. Et aucun d'eux n'a encore eu l'impact positif de Carey Price ou de P.K. Subban dans cette série.

Les Bruins seront survoltés demain. Et confiants. Le Canadien a besoin d'un joueur pour prendre les choses en main, pour changer le cours de cette série, pour réussir l'exploit.

L'un d'entre eux répondra-t-il présent?

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Les références historiques sont tirées de Guy Lafleur, L'ombre et la lumière, de Georges-Hébert Germain, et Le Canadien, un siècle de hockey à La Presse, d'André Duchesne.

Photo: Pierre Côté, archives La Presse

En 1977, Guy Lafleur a démontré qu'il était l'attaquant le plus doué de son époque dans une série contre les Bruins.