Jeudi soir, le Parti québécois a fait une démonstration de force qui explique pourquoi il est si difficile à tuer : 1300 militants ont chauffé une salle dans Pointe-aux-Trembles.

Je répète : 1300.

C'est époustouflant, de nos jours.

Élection après élection, ces gens-là posent des pancartes, trimballent leurs candidats et candidates de salle de bingo en épluchette de blé d'Inde, cognent aux portes, font des appels pour faire sortir le vote, carburant vaillamment à la pizza frette et au Pepsi tiède.

Tous les partis ont de tels militants. Mais le PQ en a plus que les autres. Ai-je dit que ces militants carburaient à la pizza frette ? Pardon, ils carburent à ce vieux rêve de pays, qui est froid dans le coeur des Québécois, mais pas dans le leur...

Jeudi, donc, 1300 péquistes ont chauffé une salle dans Pointe-aux-Trembles.

Électoralement parlant, c'est du bonbon.

Mais qu'est-ce qui a occulté cette journée et fait perdre du jus de cerveau et de l'espace médiatique à son chef ?

Une péquiste.

Une péquiste et ses singeries.

Michelle Blanc, la candidate dans Mercier (Montréal).

Pif, paf, pouf, la vie numérique de Michelle Blanc a toujours été très divertissante : ici, une déclaration-choc sur l'islam ; là, un tweet ponctué de grossièretés et de jurons d'église à propos de tout et de rien (bien souvent de rien), sans oublier une menace de poursuite contre un chroniqueur et une confession sur sa première vaginite.

En mai, mon collègue Mario Girard parlait déjà de la « téléréalité » qu'est la vie de la candidate-vedette péquiste, dans une chronique qui annonçait le boulet qu'elle est devenue pour le PQ.

Trois mois plus tard, la campagne est commencée, et Mme Blanc s'est retrouvée dans le pétrin médiatique et politique pour : 

- avoir insinué, dans une tentative ratée de judo rhétorique, qu'un blogueur qui critique souvent ses positions était... pédophile (c'est faux et elle s'est excusée, à la suite d'une mise en demeure dudit blogueur) ;

- avoir utilisé le mot « nègre » dans un vieux tweet pour se plaindre du service à la clientèle d'un employé africain de Bell (dans ce qui ressemble à une autre tentative de judo ratée de sa part).

Et ça, c'est seulement depuis deux jours.

J'ai connu Michelle Blanc en 2008 quand elle était encore Michel Leblanc et qu'elle avait décidé de faire de sa transition une affaire très publique. C'était à une époque où la réalité des trans était encore méconnue, et nul doute que le fait d'ouvrir son coeur et son intimité sur sa transition de Michel en Michelle a permis de faire progresser des mentalités.

Puis Michelle Blanc a continué à faire ce qu'elle faisait avant sa transition : du conseil stratégique, principalement sur les enjeux numériques. Parallèlement, sa vie est devenue un iPhone ouvert sur les réseaux sociaux, où on a pu tout savoir de sa vie, de ses pensées, de ses colères, de ses affections. Ne manquait que le code du système d'alarme de sa maison...

Michelle Blanc a le droit de faire ça. Je trouve ça too much, personnellement. Mais chacun et chacune vit sa vie - et sa vie numérique - comme il ou elle l'entend.

Sauf que...

Sauf que la vie numérique de Michelle Blanc est bien sûr devenue un coffre aux trésors qui recèle des peaux de bananes grosses comme la toile du Stade, une fois qu'elle est devenue « Michelle Blanc, candidate ».

Une citoyenne privée peut bien assimiler la vue d'un hijab à la lapidation des homosexuels, ça n'engage que sa personne, même si c'est légèrement réducteur. Elle peut sacrer comme une cochère et comparer l'électeur à « un dumpling qu'il faut fourrer » (2014), elle a le droit, à l'époque, ça n'engageait qu'elle...

Une fois candidate, c'est une autre histoire.

Là, ça engage ton parti. Ça engage ton chef.

On peut ne pas aimer cette réalité. On peut plaider le droit à l'imperfection. On peut. Mais la réalité est ce qu'elle est : le chef Lisée, qui connaît un bon début de campagne, a perdu beaucoup de temps et de jus de cerveau avec les singeries numériques d'une femme qu'on donne troisième ou quatrième dans Mercier...

Michelle Blanc représente bien sûr un cas extrême du ressac de ce qu'on choisit de donner de soi-même aux plateformes numériques. On ne sait jamais comment nos selfies, nos confessions, nos montées de lait vont pouvoir être éventuellement utilisés contre nous.

À mesure que le numérique virtuel s'imbrique dans nos vies réelles, nous nous fabriquons tous de nouvelles identités.

Avec ces pixels, nous fabriquons aussi des pièges à ours dans lesquels on peut, un jour, tomber.

DANS LE MÊME REGISTRE... - Le cinéaste américain Errol Morris est un homme aux intérêts d'une diversité stupéfiante. Fait divers (Thin Blue Line), mensonges d'État (Standard Operating Procedure, The Fog of War) ou la mort de nos animaux domestiques (Gates of Heaven), Morris est prodigieux sur tous les sujets.

Cette semaine, le magazine scientifique Nautilus a publié une entrevue avec Morris sur sa relation trouble avec le philosophe et historien des sciences Thomas Kuhn.

Je ne vous ferai pas des accroires : j'ignorais avant cette entrevue qui était le professeur Kuhn (pour votre prochaine soirée Quelques arpents de piège, sachez que c'est lui qui a inventé l'expression « changement de paradigme) et je ne savais rien non plus de son impact sur la pensée scientifique moderne...

Mais dans cette entrevue où il dit tout le mal qu'il pense de feu Thomas Kuhn, Errol Morris a eu un flash très actuel. Je le cite : « Il y a 200 ans, 99 % de la bêtise humaine n'était pas documentée. Maintenant, nous avons l'internet. »

MON BARBECUE - Aucun chef de parti n'a encore offert de venir nettoyer mon barbecue, comme je l'espérais cette semaine, à propos de promesses électorales relevant de l'aide ménagère.

Je ne désespère pas.

MA PLANÈTE - Ma chronique de mercredi, sur la futilité de penser que l'humanité peut combattre efficacement les gaz à effet de serre avant notre extinction commune, a déçu plusieurs lecteurs.

Déçu, j'insiste. Pas fâché : déçu.

Mille messages me sont parvenus de gens qui commençaient en disant quelque chose comme : « Je vous aime bien, d'habitude, mais là, franchement, comment pouvez-vous... »

Bref, je vais faire un suivi prochainement à cette chronique, c'est promis, parce que ça m'indispose plus quand je vous déçois que quand je vous fâche.

Je veux juste trouver les mots pour dire ce que je veux dire au sujet de l'avenir de la planète, et ça tombe bien, il va faire beau ce week-end. Je vais y penser en nettoyant mon Hummer. C'est en lavant mon Hummer que j'ai mes meilleures idées de chronique.

MON ARKANSAS - Y a-t-il un spécialiste de la dyslexie dans la salle ?

Jeudi, j'ai écrit que Sarah Palin avait été gouverneure de l'Arkansas.

Pet de cerveau. Je sais qu'elle a été gouverneure de l'Alaska. Mais pourquoi ai-je écrit « Arkansas », alors que je n'ai jamais même pensé que Mme Palin a été autre chose que gouverneure de l'Alaska ?

Les trois « a » et le « k » qu'on retrouve dans chacun des deux mots ?

Je ne sais pas...

Je sais que ma gêne fut considérable, gêne amplifiée par les dizaines de messages qui me sont parvenus dans la journée de jeudi, par vous tous qui êtes des champions de Quelques arpents de piège, pour me dire que Mme Palin n'a jamais été gouverneure de l'Arkansas...

La version numérique de la chronique a été corrigée. J'espère que ce faux pas ne me sera pas reproché quand je voudrai être échevin, en 2038.

Par ailleurs, si vous visitez le sud des États-Unis, je ne vous conseille pas l'Arkansas : quand j'y suis allé en 2004, un pasteur chrétien a tenté de me convertir de force.

Pour l'Alaska, je ne sais pas.