La dame débarquait de l'avion, enfin de retour de Cuba. Comme quelques centaines de Québécois, elle avait été coincée à La Havane, incapable de revenir parce que la ligne aérienne Cubana avait cloué sa flotte au sol après le crash de l'un de ses appareils, vendredi dernier.

Pendant quelques jours, avec les autres voyageurs, la dame a été prise dans les limbes du tourisme international tout inclus, qui, des fois, ne roule pas toujours comme sur des roulettes.

Elle débarque donc de l'avion et à l'aéroport Montréal-Trudeau, on lui plante des micros sous le nez, des caméras dans le visage, et on lui demande comment elle a vécu ça, cette attente qui n'était pas incluse dans le forfait.

Je cite sa réponse : « On s'est sentis comme un peu abandonnés à nous-mêmes. On s'est sentis comme prisonniers. Guantánamo... Exactement, c'est Guantánamo qu'on a vécu. »

C'est évidemment une image trop forte.

Guantánamo, la prison américaine controversée située à Cuba où les États-Unis ont emprisonné des suspects de terrorisme. Guantánamo, prison à sécurité hyper maximale, où des suspects ont été soumis à de la torture. Bref, rien à voir avec les limbes du tourisme international...

L'image a fait le tour de l'internet québécois. Les mots de la femme ont été relayés partout, ils ont été ridiculisés parce que l'image était bien évidemment ridicule.

J'ai relayé ses propos sur Facebook. J'ai fait jouer la clip à la radio, chez Paul Houde. De bon coeur.

Hier, j'ai pourtant effacé la publication virale de mon Facebook, après qu'un lecteur m'eut frotté les oreilles.

Mathieu Miville m'a invité à réécouter la séquence : « Quand elle dit "Guantánamo", elle répond à un journaliste qui lui a soufflé la réponse... »

J'ai réécouté.

Et je n'ai pas entendu les journalistes de Radio-Canada et TVA, présentes mais hors-cadre, souffler « Guantánamo ? » à la dame. Les deux journalistes ont affirmé publiquement ne pas avoir soufflé cette réponse à la femme interviewée. Je les crois. 

Thomas Gerbet de Radio-Canada est celui qui a relayé la séquence sur son compte Twitter, après l'avoir trouvée dans le système d'archivage. La séquence n'avait pas été diffusée par TVA et Radio-Canada. Selon ce que j'ai su, le journaliste Gerbet croyait que la séquence avait été diffusée par son réseau. 

Il l'a donc relayée sur Twitter et la viralité a été instantanée, j'ai participé à cette viralité. Je prends un pas de recul, si vous permettez. 

Qu'importe le contexte où le mot « Guantánamo » a été lancé, il y a lieu de se poser des questions non seulement comme journalistes, mais aussi comme simples citoyens, sur ce que nous choisissons de relayer, de « liker », de retweeter.

La voyageuse s'est pliée de bonne grâce à l'exercice de répondre à des journalistes en débarquant de l'avion.

Elle n'a manifestement pas reçu la formation Platine de la firme de relations publiques National sur les meilleures réponses à offrir aux journalistes, après un séjour chaotique sous les tropiques.

Interviewée, la voyageuse a donc dit une bêtise. Elle a utilisé une métaphore beaucoup trop forte pour la situation. On ne s'obstinera pas à dire le contraire.

Sa sentence ?

Se faire tourner en bourrique à la grandeur de la province.

Je ne dis pas que les civils, les gens non rompus à la parole publique, sont au-dessus de la critique. T'es un quidam et tu dis une bêtise raciste, présomptueuse, misogyne, violente ou démesurément stupide en public ? Vis avec ta propre turpitude.

Mais ici, cette femme qui n'est pas une professionnelle de la com habituée à peser ses images et ses mots a juste utilisé une métaphore un tantinet trop forte pour la situation. Elle n'a ni méprisé ni insulté qui que ce soit.

Et pour ça, pour l'utilisation maladroite de l'image d'une prison célèbre qui évoque les excès de la lutte contre le terrorisme, la voyageuse est devenue un mot-clic, un lol facile, une célébrité anonyme instantanée dont il a fait bon se moquer en gang.

Me semble qu'au vu de l'infraction, la peine est lourde en titi. Non ?

L'immense majorité des mots d'esprit consignés sous #guantanamo relevaient de la taquinerie, j'en conviens. Certains étaient très drôles. Le hic, c'est que des milliers de taquineries faites de bon coeur qui convergent sur une personne, ça fesse en maudit. Il y a effet de meute. Je plaide coupable, j'étais de cette meute éphémère.

On dira que les propos de la dame « disent » quelque chose sur l'exagération de certains touristes, quand le voyage devient calvaire. OK, mais je trouve que la naïveté des touristes québécois en matière d'aléas touristiques n'est pas un grand enjeu de société.

Les meutes numériques auxquelles on peut tous participer, par contre...

Mea culpa, madame.