Espace pour la vie est la patente qui chapeaute le Jardin botanique, le Biodôme, l'Insectarium et le Planétarium. Ce qui est quand même drôle et ironique : la « marque » qui chapeaute ces quatre institutions montréalaises est moins connue que chacune de ses quatre composantes...

Peut-être, justement, parce que c'est une patente qui a plus à voir avec le marketing qu'avec autre chose, mais je m'égare...

Espace pour la vie est de son propre aveu en déficit de notoriété. Ça n'empêche pas son directeur Charles-Mathieu Brunelle d'être en train de piloter une grande réorganisation qui va fondre ces quatre organisations et leurs 450 employés dans la marque Espace pour la vie...

Fondre, comme dans «diluer» : c'est en tout cas ce que craignent beaucoup d'employés et d'amis de ces quatre institutions.

Et c'est au Jardin botanique, une institution scientifique remarquable - 26 publications savantes juste l'an dernier - que les craintes sont les plus persistantes. Il faut dire que le Jardin, dans la réorganisation pondue par M. Brunelle, perdrait son directeur, lui qui en compte d'illustres, comme le frère Marie-Victorin et Pierre Bourque.

Pierre Bourque, justement, ex-maire de Montréal et ex-directeur du Jardin botanique, a décidé de se faire le porte-voix de ces craintes dans une lettre envoyée en février à l'actuel maire de Montréal, Denis Coderre.

Je cite des extraits de la lettre, cosignée par l'ex-directeur Gilles Vincent et l'actuel conservateur Luc Brouillet, dans laquelle ils font l'éloge des 80 années de travail du Jardin : 

«Depuis quelque temps, les orientations prises par la direction d'Espace pour la vie risquent de voir anéantir toutes ces années d'effort...»

«Éliminer ainsi la dénomination propre de chacune des institutions, dont celle du Jardin botanique de Montréal, est une hérésie!»

«Un tel choix de l'Administration fera en sorte que la Ville de Montréal, cette ville pour laquelle vous vous efforcez de rétablir la réputation sur la scène internationale, perdra un de ces joyaux.»

«Monsieur le maire, vous devez intervenir, vous devez arrêter cette lapidation du patrimoine montréalais unique, un Jardin botanique qui a fait pendant tant d'années la fierté de Montréal.»

Maud Fillion, des Amis du Jardin botanique, déplore que le débat sur la mission du Jardin botanique - fondé en 1931 par le frère Marie-Victorin, fruit d'un partenariat entre la Ville de Montréal et l'Université de Montréal - ne se fasse qu'à l'interne. 

«On voit vraiment l'identité du Jardin botanique mise de côté, sans pouvoir vraiment en mesurer toutes les répercussions. Les gens ne viennent pas à "Espace pour la vie", ils viennent au Jardin botanique. Et en perdant son directeur, qui va défendre la mission du Jardin et son rôle dans le Réseau international des grands jardins?», demande Maud Fillion.

Je ne sais pas si Pierre Bourque a raison de parler d'une lapidation de l'héritage du Jardin botanique en dénonçant cette dilution dans la patente qu'est Espace pour la vie. Je sais cependant que le débat sur l'avenir de cette institution scientifique majeure ne s'est jusqu'à maintenant fait qu'à l'intérieur du cocon qu'est Espace pour la vie...

Et ça n'a pas de sens!

Où est l'opposition? Où est le maire? Où est le débat public, là-dessus? Pourquoi Pierre Bourque lui-même ne sort-il pas sur la place publique?

Je sais quelles sont les «lignes» préparées par Espace pour la vie pour «vendre» la réorganisation qui va «pimper» l'identité d'Espace pour la vie aux dépens du Jardin botanique, de l'Insectarium, du Planétarium et du Biodôme. Permettez que je cite des extraits du document qui justifie cette réorganisation...

«Accroître le sens de l'ensemble dans le but de mieux servir la mission...»

«Accroître l'efficacité et l'agilité de l'organisation...»

«Décloisonner pour plus de synergie et d'efficacité...»

«Utiliser les forces vives au profit de l'ensemble...»

«Cette réorganisation a l'objectif de concentrer les énergies vives...»

Bref, une belle brochette de phrases vides qui peuvent vouloir tout et ne rien dire. Et le contraire. Synergie mon kiki, quand tu nous tiens...

Autant de mots qui doivent faire frétiller les marketeux mais qui - je vous l'assure - consternent ceux qui font de la science, au Jardin botanique et dans les trois autres institutions...

Ma phrase vaseuse préférée : «Par ailleurs, cette synergie renforcée au sein d'une fonction se veut également en appui au fonctionnement institutionnel, qui on le sait, doit demeurer efficace entre les équipes.»

Euh... Qu'est-ce que ça veut dire, ces 27 mots?

Sérieux! Je ne comprends pas!

Une «synergie renforcée au sein d'une fonction»? Je pense que je comprendrais mieux une phrase en japonais.

Et ce sont les gens qui ont écrit cette phrase vaseuse qui pilotent la «synergie» de quatre institutions montréalaises essentielles?

J'ai peur...

Je termine sur le cas de Michel Labrecque, conservateur du Jardin botanique. La semaine dernière, ce scientifique a tenté d'élargir le débat sur l'avenir du Jardin botanique hors du cocon d'Espace pour la vie : il a accordé une entrevue à Alain Gravel, à l'émission matinale de Radio-Canada, dans la foulée d'un papier de La Presse sur cette réorganisation contestée. Il a dit son inquiétude.

Eh bien...

M. Labrecque (qui a refusé ma demande d'entrevue) a depuis été avisé par son employeur, la Ville de Montréal, qu'il avait manqué à son devoir de loyauté. On l'a avisé de se taire.

Ça envoie un message d'intimidation très clair aux scientifiques du Jardin botanique : vos gueules, laissez parler les marketeux, ils vont faire le débat.