Hier, je terminais ma chronique par une question, question à laquelle je vous invitais à répondre : « Pourquoi empêcherait-on les Sébastien Gagné-Ménard de ce pays de se libérer sereinement de leurs souffrances ? »

La chronique racontait l'histoire de Sébastien Gagné-Ménard, rendu prisonnier de son corps par les ravages de la sclérose en plaques (SP). N'étant pas admissible à l'aide médicale à mourir au Canada, il a dû aller en Suisse pour avoir droit à un suicide assisté.

C'est sa mère, Margo, qui a piloté le dossier suisse. Je salue Margo en passant, elle qui a accepté de me raconter son histoire. En sortant publiquement, elle remplit une promesse faite à Sébastien : tout faire pour éviter l'indignité d'un voyage à l'étranger pour mourir dignement.

Vous avez été des dizaines à réagir à ma chronique. Et à 99 %, je dirais, vous avez répondu simplement qu'il n'y avait aucune raison valable d'empêcher une personne comme Sébastien Gagné-Ménard d'avoir accès ici à l'aide médicale à mourir.

Aucune raison de dire à une personne dont l'état ne va pas s'améliorer, une personne qui n'a plus de qualité de vie, une personne qui souffre grandement et en permanence : désolé, il n'y a rien à faire.

Mélanie A., atteinte de SP elle aussi : « Je comprends les dirigeants politiques de craindre les abus dans l'aide médicale à mourir, mais il faut être criss**** déconnecté pour en exclure les maladies dégénératives comme la SP. On a toute notre tête et l'embellie que tout le monde souhaite n'arrivera pas. »

Le pire, Mélanie ? Je suis sûr que nos élus ne sont pas déconnectés. Je suis sûr qu'ils savent la souffrance ou pas de certaines personnes, en fin de vie technique ou pas. Ils vivent dans le même monde que vous et moi.

Julie Meunier : « Je crois que la loi a été garrochée comme beaucoup de lois au Québec ou au Canada... »

Petite nuance : au Québec, l'adoption de la loi qui a encadré l'aide médicale à mourir - avant celle du fédéral - a été le résultat d'une démarche multipartite admirable qui a fait ressortir le meilleur chez nos parlementaires. Mais Québec ne pouvait pas occuper tout l'espace législatif dans ce dossier : Ottawa contrôle le Code criminel.

Dans ce dossier, le gouvernement fédéral a fait preuve d'une immaturité et d'un déficit de sensibilité qui n'ont pas eu d'écho dans la démarche du gouvernement du Québec.

Ce qui m'amène au prochain commentaire...

Alexandre Lamarre : « Les politiciens fédéraux sont en retard sur l'évolution de la population. Ici, Ottawa a interprété la décision de la Cour suprême de façon très conservatrice. Il va falloir une autre contestation juridique en Cour suprême pour que cela change. »

C'est le noeud du problème. Dans les derniers mois du gouvernement conservateur, l'arrêt Carter de la Cour suprême a donné un ultimatum à Ottawa pour qu'il décriminalise l'aide médicale à mourir. La machine à saucisses législative a été interrompue par les élections, la Cour suprême a accordé un délai au nouveau gouvernement libéral...

Qui a interprété de façon restrictive les balises de l'arrêt Carter, par incompétence ou par pression d'un deadline très (trop ?) serré. Cette interprétation conservatrice de l'arrêt Carter par les libéraux a exclu de l'aide à mourir les malades comme Sébastien, alors que la Cour suprême les incluait de façon manifeste.

Alors oui, Alexandre, vous avez raison : il va falloir un autre recours juridique devant la Cour suprême pour qu'Ottawa refasse ses devoirs. Deux contestations progressent devant les tribunaux, présentement.

François Marcil : « Je ne vois aucune raison pour que ceci ne puisse se faire au Canada. Je vais envoyer un courriel à mon député. »

C'est une avenue qui est toujours efficace : faire savoir à nos représentants élus que le temps est venu de permettre à TOUS les citoyens qui souffrent de façon irrémédiable, alors que leur pronostic médical est irréversible, de recevoir l'ultime soin qui les aidera à mourir dignement au moment de leur choix.

Un lecteur, Reynald Harpin, a été ébranlé par l'histoire de la vie remplie d'indignités et de souffrance de Sébastien Gagné-Ménard. Il s'est toujours opposé à l'aide médicale à mourir et me l'a souvent écrit.

Hier, il m'a envoyé ces mots, précisant se sentir déchiré : « Je pense qu'on devrait permettre aux Sébastien de pouvoir au moins y avoir recours si c'est leur volonté [...] Je me demande quand même si c'est la bonne réponse. Je n'en suis pas certain. J'ai l'impression, devant ce cas si émouvant, de flancher sur mes convictions. »

J'ai envie de dire à M. Harpin qu'il n'a pas à renoncer à ses convictions. Dans tous les États où l'aide médicale à mourir existe sous une forme ou une autre, c'est une minorité qui y a recours.

Ça dit quoi, ça ?

Ça dit que malgré l'indignité des ravages de la maladie, la plupart d'entre nous choisissent d'aller au bout ultime de la douleur et de l'inconfort.

Pourquoi ?

Chacun, chacune a ses raisons. Une heure de plus passée avec ses enfants. Un dernier Noël. L'espoir fou d'une rémission impossible. Un autre printemps. Il y a les convictions religieuses, aussi, que je respecte.

Non, ceux qui s'opposent à l'aide médicale à mourir - dans sa forme actuelle ou dans une forme plus élargie que moi et d'autres espérons - ne doivent renoncer à rien.

Si on est contre l'aide médicale à mourir, la solution est simple : ne pas la demander quand on fera soi-même face aux indignités de la maladie.

Et laisser à ceux qui choisissent d'exercer un ultime geste de liberté le droit de choisir ce soin ultime, pour pouvoir partir dignement, ici, entourés de ceux qui les ont aimés.

Nous n'en sommes pas là, et c'est tragique.

Dans le cas de Sébastien Gagné-Ménard que je vous ai raconté hier, je vois une injustice patente, qui se décline en trois mots.

Inéquitable : si tu n'as pas les 35 000 $ nécessaires pour aller mourir en Suisse ET l'appui d'une mère logisticienne comme Margo, tu vas mourir dans la prison qu'est ton corps... Un jour.

Discriminatoire : parce qu'il n'avait pas la « bonne » maladie, Sébastien n'était pas admissible à l'aide médicale à mourir ici. Psychologiquement, physiquement et moralement : il ne souffrait pas moins qu'un cancéreux qui en est à ses dernières heures.

Indigne : le processus qu'a dû emprunter Sébastien pour aller mourir à l'étranger est complexe et a ajouté à ses souffrances. Il est mesquin qu'il ait dû subir l'indignité de ce périple pour trouver un peu de dignité.

Je vous rappelle que la mère de Sébastien marchera ce matin, lors d'une de ces marches de la Société de la sclérose en plaques qui auront lieu partout au Canada. Dans le cas de Margo, c'est au Domaine Maizerets.

Faites-lui la bise pour moi si vous la croisez.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE, CAPTÉE PAR MATHIEU BÉLANGER, COLLABORATION SPÉCIALE

Sébastien Gagné-Ménard