Je suis un enfant du divorce, un divorce pas si acrimonieux mais pas un divorce de velours non plus, pas un de ces divorces modernes où Papa et Maman prennent un verre de vin en organisant ton party de fête, sous le regard attendri de leurs conjoints respectifs.

Non, ce divorce-là fut consommé et vécu à l'époque de la guerre froide et c'était ça, justement : une guerre froide intime entre deux anciens amoureux.

Pas de guerre. Pas d'avocasseries interminables. Pas de portes closes et de rideaux tirés quand ma mère venait me chercher, ou l'inverse. Pas d'assiettes brisées.

Mais...

Mais malgré tout, la manière dont ce divorce fut mené m'a quand même profondément bousillé la vie, il a creusé en moi des canyons au bord desquels je titube encore parfois, aujourd'hui.

Mon père et ma mère sont morts avant que je n'aie pu constater à quel point la gestion de cette séparation m'avait affecté. Ils sont bien chanceux d'être morts, remarquez : j'aurais un sérieux char de marde à leur donner...

Ma mère, surtout. J'étais encore enfant qu'elle trouvait toujours matière à grommeler contre mon père. Et ça ne s'est pas exactement calmé pendant l'adolescence. Pour me parler des défauts de mon père, elle refaisait en douce l'histoire du divorce. J'avais 11, 12 ans.

Ce qui m'a forcé à inconsciemment prendre le parti de ma mère dans cette guerre froide.

Ce qui m'a mis, encore là inconsciemment, dans un conflit de loyauté.

Ce qui est parfaitement cinglé : je les aimais également.

Une séparation impliquant des enfants est toujours une tragédie. Pas pour les adultes, pour les enfants. 

Adulte, tu sais que ça peut faire partie du deal, que tu peux laisser des morceaux de ton coeur dans l'aventure, morceaux de steak carbonisé par le poêlon trop chaud de l'amour.

Mais enfant, quand tes parents se séparent, c'est forcément ton monde qui s'écroule. Et quand t'es petit, le monde, c'est immense, c'est gigantesque, ça te dépasse, ça menace constamment de t'avaler. Le divorce de tes parents ? C'est terrifiant, c'est le monde parallèle qui avale les personnages de Stranger Things.

Ce qui reste à faire, c'est de gérer la séparation intelligemment. Se demander, chaque fois qu'on a envie de hurler sur l'ex, chaque fois qu'on a envie de se venger, chaque fois qu'on a envie de mettre deux tonnes de glace sur le « Allô » qu'on va dire à l'autre, se demander ceci : faire ça, est-ce que ça aidera mes enfants à être plus heureux ?

Et 9 fois sur 10, peut-être 9,9 fois sur 10, la réponse sera « non ».

Ça ne veut pas dire que c'est facile de se retenir. Les avocats en droit de la famille ont des chalets avec vue sur le lac qui prouvent que c'est très difficile de se retenir d'entrer en guerre contre son ex.

Vous voyez où je m'en vais, avec mes histoires de famille, hein ? Oui, ... Vers le plus célèbre divorce de l'histoire du Québec moderne, divorce qui se décline devant nous comme un carambolage au ralenti, devant lequel je me sens de trop.

Divorce célèbre parce qu'il implique des gens qui sont célèbres depuis toujours et qui ont vécu cette célébrité en HD et sur papier glacé.

Bonjour, Pierre Karl Péladeau, bonjour, Julie Snyder...

Être enfant de parents ultracélèbres, c'est déjà une tabarslak de croix à porter, la croix étant le regard cumulé de millions de personnes sur soi. Il n'y a rien de normal dans cette attention. Pour ne pas se faire écraser par cette croix, disons que ça demande une maisonnée équilibrée et des parents clairvoyants.

Mais là...

Un divorce très public à peine quelques mois après un mariage transformé en spectacle grand public...

Une histoire de filature par détective privé, d'injonction, de John Doe, de casquette noire...

Des communiqués de presse passifs-agressifs signés par des services de communication...

Et jeudi, l'annonce de l'embauche de la plus médiatisée des avocates en droit familial que compte cette province, avocate qui accorde des entrevues sur son mandat moins de 24 heures après la révélation dudit mandat...

(Je sais, je sais, Julie : tu dois te dire, ici, que la filature par détective privé et que l'embauche de MAnne-France Goldwater ne sont pas de toi. Et c'est vrai. Mais Julie, désolé, ce Pierre Karl-là ne me semble pas fondamentalement différent du PKP hypercombatif, hyperteigneux qui est à l'avant-scène depuis 15 ans.. Le Pierre Karl que tu as jadis choisi.)

Je me mets à la place des enfants de Julie Snyder et de Pierre Karl Péladeau. T'es l'enfant de parents célèbres, c'est déjà un combat d'avoir une enfance normale. Et là, devant tout le Québec, devant toi, tes parents se tapent une guerre thermonucléaire totale. Tu joues au ballon-chasseur dans la cour d'école et tes amis savent le nom d'une des avocates dans le divorce de tes parents ? Comme disent les jeunes : WTF ?

Pierre Karl, Julie, comment dire...

Je ne sais pas si vos enfants vont sortir bousillés de votre divorce. J'espère que non, et ce n'est pas une formule toute faite que j'utilise ici : j'espère que non parce que Dieu sait que le monde n'est pas en déficit d'êtres brisés et carencés, nul besoin d'en produire plus.

Mais ce que vous faites là, présentement, c'est aligner devant eux toutes les conditions pour qu'ils sortent de cette guerre brisés et carencés.

L'un de vous va « gagner », au bout du compte. Une division du patrimoine jugée plus avantageuse, peut-être. Un jour de garde de plus, une semaine de vacances de moins. La maison aux Îles, peut-être. Un calcul de pension alimentaire favorable à l'une ou à l'autre des parties...

Mais tout ça ne pèsera pas très lourd dans la balance si vos enfants se perdent dans la noirceur des canyons que vous êtes en train de creuser à la pépine au fond de leur âme, avec l'aide de talentueux membres du Barreau payés 600 $ de l'heure.