En décembre, Al-Mourabitoune a fusionné avec AQMI, Al-Qaïda au Maghreb islamique. AQMI mène des opérations terroristes meurtrières au Niger, au Mali, notamment. C'est AQMI qui a enlevé les diplomates canadiens Louis Guay et Robert Fowler, en 2008.

Al-Qaïda était jadis la grande marque mondiale du terrorisme islamique : c'est Al-Qaïda qui a frappé en septembre 2001 aux États-Unis. Mais le groupe État islamique essaie de lui ravir ce titre avec son fantasme de califat, avec ses actions barbares en Syrie et en Irak, qui produisent des métastases ailleurs.

Le groupe État islamique attire plus de combattants potentiels qu'Al-Qaïda, ces jours-ci. On est toujours remplacés par des plus jeunes, par des plus fous : c'est vrai même chez les djihadistes.

Jusqu'à tout récemment, le Burkina Faso était dirigé par un dictateur, Blaise Compaoré. C'était avant qu'il ne soit chassé du pouvoir et remplacé par un président élu, à la fin de 2015. Ce dictateur n'était pas un djihadiste, mais il avait leur oreille. On dit qu'il a grandement aidé à la libération des otages canadiens Guay et Fowler, par exemple. On dit qu'il y avait un pacte de non-agression entre le Burkina de Compaoré et les groupes djihadistes comme AQMI. Ainsi, jusqu'à tout récemment, le Burkina Faso était un pays relativement sûr, qui n'avait pas été ciblé par les djihadistes...

Mais tout ça, c'est de la géopolitique, le grand et mortel jeu de Twister de la géopolitique.

Toi, toi, tu veux juste aller aider du monde, à l'autre bout du monde. Il s'est adonné que ce fut le Burkina Faso. C'est « safe », le Burkina. Toi, tu t'appelles Yves Carrier, tu es directeur d'école à la retraite, tu es encore en forme et tu veux juste aider du monde. Ça fait quelques fois que tu vas au Burkina Faso, pour faire ce qu'on appelle de l'humanitaire, mais vraiment, c'est pour aider le monde. Et pour le quatrième voyage, il y a quelque école à retaper, des tableaux noirs à repeindre. Et pour ce quatrième voyage, tu seras accompagné de ta femme, ton fils, ta fille, et deux de tes amis vont venir avec toi : Gladys Chamberland, Maude et Charles-Élie Carrier, Louis Chabot et Suzanne Bernier. Un trip de gang.

Pour ce voyage humanitaire, t'as organisé des soupers spaghettis, t'as vendu des calendriers. Toi et ta gang, vous êtes tellement crinqués, tellement prêts à aider le monde, que vous avez renoncé aux Fêtes : vous êtes partis avant Noël...

Tout ça, c'est la grande aventure humaine, à hauteur d'hommes et de femmes, du monde qui va au bout du monde, aider le monde. On en connaît tous, des gens de bien comme Yves et sa gang, et pourtant, leurs histoires ne font pas les manchettes. Les manchettes, c'est juste les trucs qui vont mal, on le sait bien...

Le terrorisme ? Allons donc, on peut imaginer que c'était loin des préoccupations d'Yves et Gladys, de leurs enfants et de leurs amis. S'ils ont eu peur avant le départ, c'était de l'instabilité potentielle, à cause du coup d'État raté de l'automne dernier, qui a retardé l'achat de leurs billets. Gladys avait rejeté la peur du terrorisme, au début de décembre, sur sa page Facebook en relayant une vidéo de l'humoriste Louis T. à BazzoTV. Une vidéo qui démontrait le décalage entre la peur du terrorisme et les risques microscopiques d'être tué, au Canada, par un acte terroriste. « Petit rappel intéressant sur les chiffres », avait écrit Gladys...

Tu t'appelles donc Yves Carrier, t'es au bout du monde avec ta gang, le voyage tire à sa fin. Vous cherchez où prendre un pot pour célébrer la fin de votre trip humanitaire. Il fait beau, l'avenue Kwame N'Krumah grouille de monde.

Y a de la place là, sur la terrasse, gang... On y va ?

On y va.

Gladys a eu raison de relayer la vidéo de Louis T. : il y a peu de risques de mourir d'un acte terroriste.

Mais le terrorisme existe, et fort probablement que les risques d'en mourir sont tout aussi microscopiques en Afrique qu'au Canada, mais... le terrorisme existe, justement.

Et des fois, tu tires le numéro perdant, celui qui fait dévier ta ligne de vie dans le grand Twister de la géopolitique mondiale...

Et dans ce qu'on soupçonne être une démonstration de force d'AQMI pour montrer que le groupe État islamique n'a pas le monopole des coups fumants - et un peu aussi pour faire suer la nouvelle démocratie qui ne sera pas tolérante envers les djihadistes comme l'était l'ancien dictateur -, le terrorisme a frappé, vendredi soir à Ouagadougou.

Bang, bang, bang.

Une dizaine de morts, au Cappuccino, où un tas de personnes prenaient un verre. Ils ont mitraillé à l'aveugle, puis ils ont exécuté les survivants qui bougeaient encore. Parmi eux, six personnes venues de l'autre bout du monde, du Québec, la belle gang d'Yves Carrier.

Plus tard, la dépêche de l'Agence France-Presse dira : « Vingt-neuf personnes, dont de nombreux étrangers, ont été tuées lors d'un raid djihadiste contre un hôtel et un restaurant de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, une attaque d'une ampleur inédite dans ce petit pays d'Afrique de l'Ouest... »

Pendant l'attaque, AQMI la revendiquera, affirmant que ses combattants avaient déjà tué des « croisés », et que les combats se poursuivaient avec les « ennemis de la religion »...

« Ennemis de la religion » ?

« Croisés » ?

N'importe quoi...

Des gens de bien. Ils étaient allés repeindre les tableaux noirs dans une école. Ils étaient allés aider le monde.