L'Unité permanente anticorruption (UPAC) a un joli tableau de chasse en matière de corruption municipale. Ces dernières années, des enquêtes ont mené à la mise en accusation des maires de Laval (Gilles Vaillancourt), de Montréal (Michael Applebaum), du bras droit de l'ex-maire Gérald Tremblay (Frank Zampino) et du tout-puissant uber-entrepreneur  Tony Accurso.

Ces affaires déboucheront-elles sur des verdicts de culpabilité ?

On verra.

Ah, j'oubliais : à Boisbriand, dans l'affaire de l'usine de traitement des eaux, d'ex-élus ont été déclarés coupables ou ont plaidé coupable (l'ex-maire Robert Poirier et l'ex-mairesse Sylvie Saint-Jean). Sans oublier France Michaud, ex-VP de la firme de génie Roche, elle aussi déclarée coupable dans cette affaire de corruption.

Pendant des années, j'ai martelé ce clou dans La Presse : la Sûreté du Québec était une police politique. Pas une police politique dans le sens de la Stasi est-allemande, qui harcèle et emprisonne les opposants du régime, bien sûr. Non, une police politique qui ferme les yeux sur les magouilles des politiciens influents, libéraux ou péquistes, depuis des années, depuis des décennies.

Même les magouilles municipales étaient trop « sophistiquées » pour la SQ, seul corps de police pouvant faire des enquêtes sur la corruption politique. Sans shérif en ville, les roitelets se sont construit de petits ponts d'or, à Laval ou ailleurs.

Pour affirmer cela, je me basais sur des confidences de policiers glanées au fil des années et sur des enquêtes journalistiques publiées pour constater cette évidence : la Sûreté du Québec n'avait jamais coffré de politicien d'importance au Québec pendant les années 80, 90 et la majeure partie des années 2000. Et ce n'était pas un hasard.

Avec la création de l'UPAC, on sait que les choses ont fini - heureusement ! - par changer : la police québécoise peut coffrer des politiciens, fussent-ils municipaux. On sait désormais que les policiers enquêtent sur la politique provinciale, notamment sur ce qui se passait dans le financement libéral, dans l'ère Charest.

On sait que l'UPAC a fait des perquisitions chez Marc Bibeau. Selon des témoignages entendus à la commission Charbonneau, M. Bibeau est arrivé au PLQ en même temps que Jean Charest et c'est lui qui incarnait le virage tout-au-financement dans ce parti.

On sait que l'UPAC a eu des soupçons assez forts sur le rôle de personnes de l'ancien cabinet de Nathalie Normandeau (dans l'affaire de l'usine de traitement des eaux de Boisbriand) pour les énumérer dans une déclaration assermentée à l'appui d'une demande de perquisition. Extrait : « L'octroi de la subvention par le MAMROT est le résultat d'un financement politique soutenu depuis 2005 et d'un exercice d'influence politique par différents intervenants auprès de la ministre Nathalie Normandeau et du Parti libéral du Québec. »

On sait que l'Agence métropolitaine de transport (AMT) de l'époque du directeur général Joël Gauthier a été dans la ligne de mire de l'UPAC. Les policiers, à l'appui d'une demande de perquisition, ont dévoilé à un juge leurs nombreux soupçons face à M. Gauthier : ils allèguent que cet ex-DG du PLQ a fait du financement illégal, à coups d'argent cash, de son bureau de l'AMT.

Les trois enquêtes évoquées précédemment ont été médiatisées, elles sont connues. Elles traînent aussi depuis des années.

Elles n'ont jamais débouché sur des accusations criminelles. Elles sont peut-être encore en cours. On ne sait pas.

Je vous raconte tout ça parce que jeudi dans La Presse, le journaliste Denis Lessard a fait écho aux frustrations des policiers affectés aux enquêtes de corruption : des dossiers d'enquête touchant le financement du Parti libéral du Québec - on ne dit pas lesquels - sont sur le bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) depuis... le début 2015.

Depuis bientôt un an, quoi.

Et devant cette lenteur, les policiers sont démobilisés « par l'absence de suivi au travail qu'ils ont fait » pour les procureurs de la Couronne, rapporte Denis Lessard.

Ça recoupe ce que j'entends depuis quelques mois : les policiers provinciaux font le travail d'enquête, ils vont désormais fouiller dans les marécages de la politique provinciale. Mais les dossiers prennent de la poussière sur le bureau des procureurs de la Couronne du DPCP.

Bref, l'UPAC a cassé la culture qui faisait que la SQ, jadis, trouvait toujours toutes sortes de bonnes raisons pour ne pas enquêter sur les élections clés en main ou sur les valises de cash circulant en politique provinciale. Cela est juste et bon, amen...

Mais si les policiers provinciaux semblent s'être trouvé un courage nouveau pour enquêter partout où il le faut, c'est maintenant à la Couronne, semble-t-il, que ça branle dans le manche.

Comprenez-moi bien, ici : vous n'aurez jamais une déclaration officielle du DPCP qui dira que ceux qui évoluent ou ont évolué en politique provinciale font l'objet de standards de preuve tellement élevés au bureau du DPCP qu'il n'y aura jamais d'accusations.

Ce que je sais, c'est que c'est le politique qui détermine qui sera nommé juge un jour. Ou pas. Or, la nature humaine étant ce qu'elle est, on peut se demander si certains procureurs de la Couronne chargés d'analyser les dossiers soumis par l'UPAC - et de donner le feu vert aux accusations - ne sont pas frileux à l'idée de se faire des ennemis dans le parti, dans le gouvernement au pouvoir.

Je devine bien que les procureurs de la Couronne du DPCP vont dire que mes supputations sont bien injustes.

J'assume, en notant ceci, pour l'instant : aucun dossier d'enquête de l'UPAC touchant des politiciens ou du personnel politique affiliés au Parti libéral n'a fait l'objet d'accusations déposées par les procureurs de la Couronne du DPCP.

Aucune, zéro, nada.

Peut-être que c'est un hasard.

Ou pas.

Quand le DPCP déposera des accusations contre des gens affiliés au parti au pouvoir, il me fera plaisir d'écrire que ces supputations étaient injustes. Pour l'instant, je constate l'évidence, comme je l'ai fait jadis pour la police politique : l'absence d'accusations est suspecte.