Je sais bien que les journalistes ont la sale manie de faire-le-saut-en-politique par les temps qui courent. Comme je vous en ai déjà fait la confession, je ne serai jamais du lot. Mais si une bulle d'air me passait au cerveau et que je décidais de quémander vos X, je vous promets une chose : ce ne sera pas au provincial.

Il faut être masochiste - ou péquiste - pour se lancer en politique provinciale !

Je vais vous expliquer ça grossièrement.

Un, le cash est à Ottawa.

Deux, les services sont dans les provinces.

Vous me voyez venir ?

L'éducation, la santé, les routes : ce sont principalement des responsabilités provinciales, qui bouffent des milliards du budget provincial. Quand le provincial a fini de payer le budget de la santé, de l'éducation et des routes, il reste des pinottes, alors député provincial, c'est ça : gérer des grenailles.

Le système canadien est vraiment formidable d'efficacité pour le fédéral. Pensez-y : quand l'école de votre enfant coupe les services d'orthopédagogie, quand l'hôpital vous fait glander 17 heures à l'urgence, quand du béton se détache d'un viaduc pour pulvériser votre pare-brise, contre qui pestez-vous ?

Contre Québec. Qui appelez-vous ? Le député provincial, bien sûr...

J'entends ici les députés fédéraux me dire qu'Ottawa contribue à ces dépenses par tout un tas de programmes qui assurent des transferts de dollars aux provinces. En santé, par exemple, Ottawa contribue : il transfère des milliards aux provinces chaque année.

C'est vrai... Et c'est pas vrai. Voyez plutôt.

La beauté du système fédéral fait en sorte qu'Ottawa est très, très loin de la prestation de services assurés par les provinces et que la mécanique qui assure qu'Ottawa y contribue est très, très compliquée et, surtout, très, très ennuyante à expliquer.

Donc, quand Brian Mulroney en 1986 a coupé dans ses transferts aux provinces, disons qu'il n'y a pas eu de manifestations dans les rues. Quand Paul Martin, à partir de 1994, a commencé à renflouer les finances d'Ottawa en coupant sans vergogne dans les transferts aux provinces, il est passé pour le meilleur ministre des Finances de mémoire d'homme. En 2011, Stephen Harper a modifié unilatéralement le calcul des transferts fédéraux aux provinces pour les coûts en santé. Cette décision représente un manque à gagner de 1 milliard par année pour le gouvernement du Québec, dès 2017. Le saviez-vous ? Non, vous ne le saviez pas, mais c'est compréhensible : c'est moins important que le droit inaliénable à voter avec un sac de patates sur la tête.

Non, vraiment, le système fédéral est fantastique. Le Rapport sur la viabilité financière du gouvernement fédéral, publié l'été dernier par le Directeur parlementaire du budget (DPB), ne dit pas ça en toutes lettres, il ne dit pas qu'Ottawa a un sacré bon deal fiscal dans ce pays. Le document, croyez-moi, est d'une lecture aussi plaisante à lire que l'ingestion d'un verre de sable.

Mais dans le jargon, il y a quand même ces mots, clairs et limpides comme de l'eau de Fiji : « La dette nette suit une trajectoire viable et sera complètement éliminée dans 35 ans [...]. En revanche, la dette nette des administrations infranationales n'est pas viable et augmentera plus rapidement au cours de la période de projection, dépassant l'équivalent de 200 % du PIB après 75 ans. »

Les administrations « infranationales » - je vous ai dit que le jargon du DPB est rébarbatif - font référence aux provinces, aux territoires et aux administrations autochtones. Celles-là sont, si on veut, sous-financées.

Bref, les administrations « infranationales », celles qui se tapent les services les plus dispendieux, sont celles qui tirent le plus le diable par la queue, dans ce pays. Mais Ottawa aura éliminé sa dette en 2050. Ottawa est un génie !

Pour vous montrer comment Ottawa a un bon deal fiscal, dans ce pays, prenez les chômeurs et les BS. Ottawa gère une caisse qui contient les dollars versés par les travailleurs et les employeurs, la caisse de l'assurance-emploi. Ottawa ne met pas de sous là-dedans.

Le BS, compétence provinciale, est financé par les taxes et impôts.

Le chômage a une limite dans le temps : quelques dizaines de semaines, et hop, fin des prestations. Arrange-toi, Charlie. Ou va sur le BS.

Et le BS, c'est illimité, dans le temps...

Non, vraiment, être politicien, c'est à Ottawa que j'irais me faire élire. En campagne, je promettrais (comme M. Trudeau) un crédit d'impôt pour les dépenses des enseignants, eux qui doivent acheter toutes sortes de choses pour leurs salles de classe, comme on le sait, même si l'école est une responsabilité des provinces. Je promettrais, comme M. Harper, une ligne de dénonciation des pratiques culturelles barbares même si la police et le système de justice sont largement financés par les provinces. Je promettrais, comme M. Mulcair, un service national de garderies, même si c'est très clairement de compétence provinciale...

Oui, en promettant tout cela, j'empiéterais très clairement dans les compétences des provinces, qui ont déjà de la misère à financer les services actuels.

Mais, comme ils disent à Ottawa, « So what ? » Aucun citoyen ne se plaint jamais de la mauvaise distribution du cash dans cette fédération. Et quand les citoyens se plaignent, quand les services sont insuffisants ou pourris ou coupés, ils appellent leur député provincial...

Et quand tu coupes tes transferts en santé aux provinces, les PM des provinces, Philippe Couillard en tête, ne se battent pas. Formidable !

Vraiment, dans l'improbable éventualité où je choisirais de me lancer en politique, c'est à Ottawa que j'irais, pas à Québec.

Salaire de base du député provincial : 90 000 $.

Salaire de base du député fédéral : 167 000 $ !

J'étais nul en maths, mais je sais compter, quand même. Le gouvernement fédéral aussi, on dirait, en tout cas plus que les « administrations infranationales ».