Ça s'appelle « Le visage de la peur » : un montage fait par Voir.ca mettant en vedette des Québécois qui disent à visage découvert tout le mal qu'ils pensent « des islams », dans la foulée des controverses sur le niqab et sur l'accueil de réfugiés syriens.

Quinze minutes de délire paranoïaque anti-immigration et islamophobe, où des Québécois mêlent tout et son contraire. Ma citation préférée, qui englobe tout l'esprit de cette vidéo : 

« En tant que Québécois, y serait temps qu'on sorte dehors, qu'on mette des croix, si vous êtes chrétiens, en avant de votre maison. Plantez-en, des croix. Mettez vos drapeaux québécois, mettez-en, des pancartes "On n'en veut pas, de musulmans". Moi, si y faut que j'en voie UN musulman se câlisser à genoux dans une rue à Joliette, Québec, pour prier, là, ben oui, j'vas en faire, d'la prison : j'vas aller y foutre une taloche. »

Rien de neuf, au fond. En 1936, ces cons-là se seraient fédérés autour de la haine socialement acceptée et acceptable du Juif. Américains de l'Alabama en 1965, ils auraient demandé à la Garde nationale de fesser encore plus fort sur les Noirs réclamant un statut égal devant la loi.

Je ne dis pas qu'il n'y a pas de bonnes raisons de s'opposer à ce qu'une femme puisse voter avec son niqab, prêter serment comme citoyenne avec son niqab. Il y en a, et il y a des gens qui ont de très, très bons arguments.

Mais il y a des choses qui se disent sur les musulmans ces jours-ci qui sont débiles et délétères. Des choses qui feraient scandale, si elles étaient dites sur les Noirs, les Juifs ou les « Québécois de souche ». La vidéo dont je vous parle est un condensé désespérant de cet air du temps.

Qu'on se comprenne bien : l'islam radical fait des ravages, et en certains coins du globe, cet islam radical et violent est une machine à broyer des vies.

Mais l'islam radical tue d'abord et avant tout des musulmans, sur les fronts mouvants d'une guerre larvée entre chiites et sunnites.

Si tu es à « Joliette, Québec », dors tranquille. À Joliette comme partout en Occident, la charia et le djihad ne te menacent point.

Ah, la bonne vieille peur humaine de l'Autre, celle qui est dans nos coeurs depuis toujours...

« The sinister other », selon les mots de l'auteure américaine Marilynne Robinson dans une conversation passionnante avec le président Barack Obama publiée dans le New York Review of Books. Dans un essai intitulé Fear, Mme Robinson avance que « l'Amérique contemporaine est pleine de peurs », que le poids de ces peurs écrase la démocratie américaine.

Mais c'est l'Homme qui a peur, peur, peur. Pas seulement l'Américain. Le Canadien, le Québécois et le Joliettain : ils ont peur, si peur...

Il y a toujours un Autre, sinistre, à haïr. Hier et avant-hier : le Noir, le communiste, le Juif, le (péril) Jaune. Aujourd'hui : les musulmans, pas juste ceux qui font le djihad. Tous.

On penserait que dans l'époque la plus pacifique de l'histoire de l'Homme (oui, oui), dans un des coins les moins violents du monde (oui, oui), on penserait, donc, qu'un niqab ne pèserait pas si fort sur le curseur qui guide le X des électeurs...

Dans cette vidéo de Québécois freakant sur « les islams », un type raconte qu'il est allé visiter sa belle-soeur de Montréal. Le gars décide d'aller faire une promenade « dans le quartier en arrière de chez eux » : n'y va pas, lui dit sa belle-soeur, c'est dangereux, c'est des musulmans qui habitent là, il va t'arriver quelque chose...

« Pas pu m'empêcher, j'y ai été, nous dit le gars. M'est rien arrivé, tant mieux. Sur ce, j'encourage tout le monde à dénoncer ce qui se passe présentement... »

Il ne lui est rien arrivé, mais ça ne change rien à rien : il continue à avoir peur. Cet homme, c'est nous tous ; cet homme, c'est l'Homme, ce peureux.

Avez-vous peur?

En politique, Dan Gagnier est un homme de l'ombre. Ex-chef de cabinet de Jean Charest, ex-chef de cabinet de l'ancien PM ontarien Dalton McGuinty. Et, jusqu'à hier, codirecteur de la campagne électorale de Justin Trudeau.

La Presse Canadienne a révélé mercredi que M. Gagnier a récemment envoyé un courriel à la société énergétique TransCanada pour lui prodiguer des conseils sur les meilleures façons d'influer sur la politique énergétique du prochain gouvernement, y compris un gouvernement minoritaire libéral. Notons que M. Gagnier est un ancien lobbyiste de l'industrie énergétique.

Vous avez bien lu : un conseiller du chef libéral a envoyé des conseils à une société énergétique sur les meilleures façons d'influer sur un éventuel gouvernement libéral ! Un chef libéral qui, par ailleurs, ne s'est pas prononcé contre l'oléoduc Énergie Est de TransCanada...

Quand la nouvelle est sortie, le PLC a défendu M. Gagnier. Il a fini par démissionner, en soirée.

Moi, c'est ça qui me fait peur. De constater comment les lobbyistes sont toujours près des chefs politiques. C'est si pratique pour ajuster - j'allais dire un niqab - leurs oeillères, pour les aider à voir le monde comme il devrait être vu...