Être Charlie, c'est quoi?

Je tente une réponse. Être Charlie, comme dans «Je suis Charlie», en écho au mouvement pro-liberté d'expression né du massacre de Charlie Hebdo, c'est tolérer - pas forcément respecter - la parole qui nous dérange, et qui nous dérange même brutalement.

Ou, comme le dit si bien mon ami le journaliste Michel C. Auger, ex-président de la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ): «Il n'y a pas de belle cause de liberté d'expression.»

Traduction: quand on défend la liberté d'expression, on se retrouve à défendre des images décoiffantes, des paroles qui font l'effet de passer ses ongles sur un tableau noir. La chronique sur la beauté du Népal n'aura jamais à être défendue.

Demain, 3 mai, c'est la Journée internationale de la liberté de la presse et la FPJQ a demandé à plusieurs chroniqueurs québécois d'écrire sur la liberté de la presse. Spontanément, j'ai voulu écrire sur la triste joke que sont nos lois sur l'accès à l'information, écrans de fumée qui permettent au pouvoir de ne pas donner au public les données essentielles pour la conduite intelligente de débats publics. Ou la guerre aux sources journalistiques, une façon détournée de faire la guerre aux journalistes sans dire qu'on fait la guerre aux journalistes.

Mais je suis revenu au mouvement «Je suis Charlie» de janvier dernier. Mon Charlie Hebdo à moi, c'est qui? Qui, au Québec, porte bien haut la parole qui m'emmerde, qui m'irrite, que j'aimerais secrètement voir s'étouffer avec sa bêtise, je veux dire...

Réponse: mon Charlie Hebdo, c'est CHOI Radio X.

C'est Radio-je-paie-trop-d'impôts, Radio-gros-bon-sens, Radio-le-Québec-est-une-dictature-socialiste. Plus précisément le duo matinal, celui de Jérôme Landry et Denis Gravel.

Je ne dis pas que Radio X est Charlie Hebdo. Radio X n'est pas Charlie et Jérôme Landry n'est pas Charb. Je dis que le discours de Radio X irrite ma Clique-du-Plateau-qui-va-travailler-en-BIXI-avec-un-gaminet-d'Amir-Khadir avec une intensité qui est en banlieue de celle d'un islamiste parisien quand il voit Mahomet à la une de Charlie Hebdo.

J'ai demandé à un émissaire (salut, Gérard) d'approcher Jérôme Landry pour lui suggérer une rencontre. J'avais en tête l'idée de cette chronique sur la liberté de la presse. Il a dit oui. Et lundi, nous nous sommes donc rencontrés à Trois-Rivières, à mi-chemin de nos vies respectives.

«Ce qui vous dérange de Québec, de la radio de Québec, m'a-t-il fait remarquer, c'est qu'elle ne pense pas comme vous. On n'a pas les mêmes opinions. Et on a des députés conservateurs!»

C'est un point de vue. Et c'est un peu vrai qu'à force de parler du «mystère Québec» dans les médias de Montréal - «vous» - il y a quelque chose comme la négation d'un droit à la différence, celui d'être plus à droite, d'élire des députés conservateurs et de considérer comme parfaitement normal que Sam Hamad trouve toujours le moyen d'être ministre...

La «radio de Québec» est devenue symbole, symptôme et cause d'un tas de choses au fil des années. Jérôme Landry est le paratonnerre de ceux qui sont dans la mouvance plus progressiste, plus écologiste, moins économiste des choses. Ce qui le frappe: «Je suis souvent attaqué sur le fait que j'ai une tribune. Quand je parle de Montréal, du PQ, de la séparation, quand je critique Hydro-Québec, le modèle québécois, c'est souvent ça qui revient dans les courriels: "Pourquoi t'as une tribune, toi?" On aimerait que je sois muselé.»

Ce qui, admettons-le, est loin de l'esprit «Je suis Charlie». Être Charlie, c'est répliquer à la parole qui nous irrite avec d'autres paroles, préférablement plus vraies, plus documentées. C'est s'attarder à la parole de l'autre, pas à son droit de prendre la parole.

J'ai critiqué Radio X et ses fleurons cent fois, dans le passé. Je regarde dans le rétroviseur et je me dis que 90% de ces critiques étaient loyales, qu'elles respectaient l'esprit «Je suis Charlie».

Le 10% restants, c'est quand j'ai ciblé Raynald Brière, le grand patron de Radio Nord, la compagnie qui possède Radio X, pour les propos prononcés par ses employés. En regardant dans le rétroviseur, je ne peux pas dire que je répliquais aux arguments qui me déplaisaient avec des arguments. J'espérais que les ténors de Radio X seraient sanctionnés parce que j'embarrassais publiquement leur boss. C'est pas Charlie, ça.

C'est mon mea-culpa, à la veille de cette Journée internationale de la liberté de la presse.

Jérôme a les siens. En 2010, après le séisme en Haïti, quand la ministre Josée Verner incitait les gens de Québec à se montrer généreux et à faire des dons pour les Haïtiens, il a dit en ondes qu'il voulait garder son argent durement gagné pour s'acheter une bouteille de vin, le vendredi soir...

«C'est la pire chose que j'ai dite en ondes. C'était inhumain. À 20 heures de radio par semaine, je dis qu'on a droit à l'erreur. Mais ça, ça fait partie de ce que je regrette; c'était centré sur mon petit nombril de contribuable.»

La liberté de la presse, la liberté d'expression, c'est aussi la liberté de dire des bêtises.

Je m'inclus là-dedans, Jérôme. Ça m'arrive aussi.

Libââârté, mon gars.