C'est une histoire de fraude et d'évasion fiscales de calibre olympique que le journal français Le Monde a révélée avec l'aide d'un consortium international de journalistes d'enquête. La banque britannique HSBC a aidé des clients richissimes à éluder l'impôt local en montant des stratagèmes de dissimulation élaborés.

On parle de plus de 100 000 individus et de 180 milliards d'euros, de par le monde.

On lit les papiers du Monde et ceux des médias membres de l'International Consortium of Investigation Journalists et c'est clair comme de l'eau du lac Léman: HSBC opérait en Suisse pour le compte de clients étrangers comme un groupe criminel, des Hells Angels à cravate.

Imaginez: on incitait les clients de cette division de «private banking» à appeler HSBC de cabines téléphoniques, à la mode gangsta! Le tout sous le couvert du bienveillant secret bancaire de la Suisse, sésame de toutes les combines depuis si longtemps: les clients de la HSBC possédaient des comptes numérotés.

Ce n'est pas la première fois que la HSBC a des ennuis. Aux États-Unis, il y a deux ans, la banque britannique a accepté de régler un litige épique avec le fisc américain: pour avoir blanchi l'argent de cartels criminels mexicains en toute connaissance de cause, pour avoir aidé des clients à contourner des embargos commerciaux américains (comme celui touchant l'Iran), la HSBC a accepté de payer près de 2 milliards en amende.

Le scandale, c'est que la HSBC n'a pas perdu son permis de faire des affaires bancaires aux États-Unis (elle aurait pu, Oncle Sam a décidé de ne pas le lui retirer) et les dirigeants qui ont avalisé ces fraudes n'ont pas eu à faire face à des accusations criminelles (le Justice Department a décidé de ne pas le faire, alors que tous les ingrédients étaient réunis pour faire enfiler à ces crapules des pyjamas à rayures). Les banquiers impliqués dans le racket du Libor ont joui de la même clémence, en Europe. Too big to jail...

Et c'est une fuite qui a - encore - permis de connaître les dessous de cette crosse planétaire.

Je dis «encore» parce que comme pour la fuite qui a récemment révélé comment et pourquoi le Luxembourg est une destination de choix pour les entreprises voulant éviter l'impôt local (LuxLeaks), les SwissLeaks sont le «bébé» d'un lanceur d'alerte qui a copié des données informatiques pour qu'elles soient rendues publiques.

Ce lanceur d'alerte-là s'appelle Hervé Falciani, informaticien de la HSBC. Un type que Le Monde décrit comme un personnage intrigant, dont les motivations ne sont pas au-dessus de tout soupçon. Mais qui, au final, a informé le fisc français des manigances d'une des plus grandes banques du monde.

Mais sans Hervé Falciani, il n'y a pas de SwissLeaks.

On commence à s'en rendre compte: sans lanceurs d'alerte, les scandales aux proportions olympiques restent sous le radar. Souvent l'objet de soupçons, ils sont quasiment impossibles à prouver, documents à l'appui. Puis, arrive un Falciani avec des fichiers informatiques et... BOUM.

Sans l'ex-militaire américaine Chelsea (anciennement Bradley, avant son changement de sexe) Manning, nous n'aurions pas su dans le détail l'ampleur de la duplicité américaine au sujet, notamment, de multiples opérations touchant l'Irak et l'Afghanistan.

Sans l'ex-analyste Edward Snowden, nous ne saurions pas que les services de renseignement américains (et occidentaux) espionnent illégalement et de façon routinière des citoyens qui n'ont rien à se reprocher, et mentent à leurs chiens de garde parlementaires à ce sujet.

Sans l'ex-auditeur comptable Antoine Deltour, lanceur d'alerte des LuxLeaks, nous ne saurions pas comment le Luxembourg se met à genoux pour plaire à des multinationales qui veulent éviter le maximum d'impôts dans les pays où elles font des affaires.

Là, avec les SwissLeaks, les gouvernements occidentaux dont les ressortissants - américains, français, britanniques, entre autres - ont fait affaire avec la HSBC suisse se disent tous consternés, inquiets, atterrés... Et ils promettent des enquêtes... Et...

Et c'est du théâtre, bien sûr.

Joseph Stiglitz, Prix Nobel d'économie 2001, a résumé brutalement comment les pays du G7 pourraient mettre fin aux paradis fiscaux: «Ce n'est pas difficile de mettre fin au secret bancaire. Tout ce que les États-Unis devraient dire, c'est ceci: aucune banque américaine ne peut faire des affaires avec une banque opérant dans un État qui n'adhère pas à des codes minimaux de transparence. Si ces banques ne peuvent pas traiter avec des banques des États-Unis, ou des pays du G7, elles ne peuvent pas fonctionner en tant que banques. Le secret bancaire peut être éradiqué. La seule question, selon moi, est celle-ci: pourquoi ne le faisons-nous pas?»

J'ose une réponse: parce que ceux qui font les lois et qui signent les traités ont plus en commun avec les riches qui planquent leur fric en Suisse - ou aux îles Caïmans, ou au Luxembourg, qu'importe - qu'avec la moyenne des contribuables de leurs pays respectifs.

Dernier truc, en terminant...

Hervé Falciani, le lanceur d'alerte des SwissLeaks, est accusé de vol par la justice suisse. Il y a toujours une loi pour faire en sorte que les lanceurs d'alerte vont finir par porter un pyjama rayé. Manning est en prison, Deltour est accusé au criminel par la justice luxembourgeoise et Snowden l'est aussi, par la justice américaine.

Des banquiers et des politiciens en prison, c'est plus rare.

Et si vous croyez que c'est un hasard, j'ai des pilules qui allongent le zizi à vous vendre.