Je sais bien que la tronche de Gabriel Nadeau-Dubois ne revient pas à un tas de gens. On dira que c'est parce qu'il incarne encore la frange la plus galvanisée du printemps étudiant de 2012. Je pense que l'inimitié qu'il suscite est ailleurs.

Trop intelligent. Trop éloquent. Trop beau, aussi, peut-être...

Et là, GND revient dans l'actualité, avec ce coup d'éclat en forme de coup de pouce à un regroupement de citoyens opposés à l'oléoduc de TransCanada, qui veut acheminer le pétrole de l'Alberta vers le Nouveau-Brunswick. Ça s'appelle Énergie Est.

Et, en certains cercles, on lui cherche encore des poux. Encore.

À ceux-là, j'aimerais dire d'appuyer sur le bouton «Pause», une seconde. Oubliez GND, une seconde. Ce n'est pas à propos de GND. Peut-être même que ce n'est pas à propos du pétrole.

L'ex-leader étudiant de 24 ans a choisi de donner sa bourse de 25 000$ à Coule pas chez nous!, ce groupe citoyen qui s'oppose à TransCanada. Il a invité les Québécois à doubler la mise, via une initiative de sociofinancement. La mise a été doublée le soir même. Trois jours plus tard, la cagnotte atteignait... 340 000$.

C'est immense.

Et ce n'est rien, en même temps.

On dit ça machinalement, «Un groupe de citoyens qui s'oppose à TransCanada...», en oubliant ce qu'est TransCanada, ce qu'est un géant énergétique, la nature du combat qui se déroulait au Québec dans un relatif anonymat, jusqu'à ce que GND allume les lumières, dimanche dernier chez Guy A.

TransCanada Corp., c'est une capitalisation boursière de plus de 39 milliards de dollars, un des géants de l'industrie énergétique canadienne. En 2012, le PDG Russell Girling a gagné 8 679 314$ - ce qui comprend le salaire, les bonis, les actions, les options d'achat et les contributions à son régime de retraite -, ce qui le plaçait au 31e rang des PDG les mieux payés au Canada, selon les chiffres du Centre canadien de politiques alternatives.

Je vous dis cela pour vous donner un ordre de grandeur. Je vous dis cela pour vous dire ce qu'est TransCanada Corp. Pour vous dire à quoi les citoyens engagés dans un bras de fer contre le pipeline Canada Est font face.

Ces 340 000$ amassés grâce à GND, c'est beaucoup. Et ce n'est rien, en même temps, quand tu fais face à un colosse qui a des moyens à peu près illimités pour passer son message dans le public.

Qu'est-ce que la démocratie? Ben non, ce n'est pas voter tous les quatre ans. Le droit de vote, c'est l'une des facettes d'une démocratie. C'est un tas d'autres choses, c'est plus que ça. Des élus qu'on met le plus possible à l'abri de l'influence de l'argent. Un système de justice indépendant. Et des contre-pouvoirs.

Surtout des contre-pouvoirs.

Entendez par là des ONG, des journalistes, des syndicats, des groupes de pression de toutes sortes. Toutes sortes d'empêcheurs de tourner en rond et de tracer des pipelines là où des TransCanada le souhaiteraient, comme ils le souhaiteraient, quand ils le souhaiteraient.

Les citoyens qui s'opposent à TransCanada veulent que le pipeline meure dans les cartons de la compagnie. Ça m'étonnerait que ça arrive. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas talonner TransCanada, pour lui donner les coudées franches. Et, non, désolé, ce ne sont pas les gouvernements qui vont brider l'industrie pétrolière.

Restent les contre-pouvoirs. Et dans le cas du contre-pouvoir pétrolier, ça dépasse Gabriel Nadeau-Dubois. C'est 340 000$ contre 39 milliards de dollars.

Moi, quand un contre-pouvoir dérange, je suis content. Parce que contrairement à vous, je ne pense pas que la démocratie, c'est d'aller choisir le meilleur slogan politico-marketing aux quatre ans.

On peut très bien décider d'être pragmatique et se dire que le pétrole, c'est un mal nécessaire. Je brûle du pétrole, GND aussi, vous aussi. Mais ce n'est pas une raison pour mépriser le geste de GND, ce n'est pas une raison pour railler les citoyens qui s'inquiètent - pour toutes sortes de raisons - de ce pipeline. Ce n'est pas une raison pour applaudir et faire la vague quand TransCanada nous vend sa poutine.

Un mot sur TransCanada Corp., justement. La semaine dernière, la société a eu l'air fou quand la stratégie d'Edelman, sa boîte de relations publiques, a été éventée. Parmi les outils suggérés par Edelman à TransCanada pour nous rentrer le pipeline dans l'imaginaire, un certain nombre de saloperies: déterrer des scandales sur les opposants au pipeline; payer des gens pour dire du bien du projet sur le web...

TransCanada a dit la semaine passée avoir refusé d'utiliser ces sales combines. Et, hier, TransCanada a largué Edelman.

Je note que TransCanada a largué Edelman peu après que le document est sorti publiquement. Pas quand Edelman lui a soumis ces idées à l'éthique élastique. Quand les boss de TransCanada ont lu ces idées tordues, ils n'ont pas viré Edelman sur-le-champ.

Je pense que 340 000$, c'est bien peu pour se battre contre ces gens-là.