D'un bord, des syndiqués masqués et menaçants. De l'autre, des élus apeurés qu'on tente d'intimider.

C'est simple à comprendre. C'est le fun, un débat de société simple à comprendre. Plus simple à comprendre que les tiraillements entre les villes et les gouvernements provinciaux et fédéral pour élargir leur assiette fiscale, que les subtilités vertigineuses des calculs actuariels. Plus simple que de planter le débat dans le contexte global d'appauvrissement de la classe moyenne.

Et de simple à simpliste, il n'y a qu'un pas de côté à franchir et, vous l'aurez deviné, ce pas-là est franchi vers la droite...

Mais revenons à lundi soir. Restons dans le portrait simple, une seconde. Il faut être cabochon pour imaginer gagner quoi que ce soit à aller saccager l'hôtel de ville, à ce stade-ci du débat, alors que l'opinion publique était déjà vexée par la seule vue d'autocollants syndicaux sur des véhicules publics.

Et là, les syndiqués masqués qui pourchassent le maire Denis Coderre jusque dans son bureau...

Le maire a dû avoir une petite frousse, c'est sûr. Un troupeau qui fesse dans la porte de ton bureau pour te «parler», pas de flics en vue, ça ferait peur même à Georges St-Pierre.

Mais le maire est une bête politique rusée et il a dû oublier cette petite frousse rapidement, en constatant le capital de sympathie que les syndiqués venaient de laisser à ses pieds, en même temps que les papiers déchirés et le mobilier brisé.

Le maire Coderre peut maintenant se la jouer Boris Eltsine en 1991 devant le Parlement russe, héroïque rempart prêt à payer de sa personne pour défendre la démocratie des attaques des hordes de conservateurs réfractaires au changement...

Lundi soir, les cabochons voulaient faire peur au maire Coderre. Ils lui ont fait un piédestal. Bravo, les boys.

Mais voilà, les cabochons - et c'est là le drame - ont raison sur le fond. Le projet de loi 3 est un coup de force qui bouleverse l'équilibre des forces entre patrons et syndiqués. À la fin, ce n'est pas une négociation libre à laquelle on convie les syndiqués municipaux. Le portrait de lundi est vrai, mais il est incomplet.

Je sais, je sais. On n'a plus les moyens! Plus les moyens de payer ces avantages sociaux, cette sécurité d'emploi, ces retraites DO-RÉES!

C'est drôle, hein, on a toujours les moyens de ramasser le bill des minières qui ne ramassent pas leur merde, une fois le site abandonné (cadeau de 1 milliard donné à l'industrie par le PQ et le PLQ)...

Comme on a eu les moyens pendant des années de trop payer pour nos infrastructures en laissant le privé surveiller le privé, en laissant le privé cannibaliser le bien public.

Et quand un gouvernement - celui de Pauline Marois - se propose de faire payer à Alcoa un juste prix pour l'hydroélectricité qu'on lui consent au rabais, est-ce que la haute direction d'Alcoa débarque à l'Assemblée nationale pour renverser des banquettes?

Bien sûr que non. On fait simplement et discrètement savoir au gouvernement que ça met les jobs des usines en Mauricie et sur la Côte-Nord.

C'est plus élégant que de terroriser des élus, je vous le concède. Est-ce moins violent, moins détestable?

En tout cas, Québec a cédé: Alcoa est encore subventionnée par des tarifs d'électricité au rabais.

On n'a pas les moyens... Mais on a toujours les moyens de financer des industries hyper rentables mais bien pistonnées. Parlez-en à Bernie Ecclestone.

Le projet de loi 3 des libéraux s'inscrit dans une logique globale d'affaiblissement des syndicats, ici et aux États-Unis. Aux USA, la stagnation des revenus de la classe moyenne - et son rétrécissement - coïncide avec la guerre lancée contre les syndicats sous Nixon.

Au Canada, l'assaut antisyndical est bien réel. Quand les travailleurs des Postes, du Canadien Pacifique et d'Air Canada déclenchent une grève, une loi spéciale les force à retourner au travail. Le même gouvernement a voulu, avec le castrant projet de loi C-377, forcer les syndicats à une transparence qui n'a pas d'équivalent chez les employeurs.

Le projet de loi 3 s'inscrit dans cette logique: affaiblir les salariés en s'attaquant à leurs acquis syndicaux.

Je sais, je sais: les fonctionnaires ont des retraites garanties. Vous, vous n'en avez pas de retraite, ou alors vous n'en avez qu'une toute petite.

Mais gruger la retraite de ces gens-là, est-ce que ça vous en donnera une, comme par magie?

Est-ce que ça va baisser vos taxes et impôts?

Hé, hé. Trop occupés à se manger les uns les autres, on oublie que la réponse à ces deux questions, c'est non.