En lisant la «Requête introductive d'instance amendée en dommages-intérêts» soumise par Alex Giguère et Geneviève Gariépy, j'ai senti s'éveiller mon petit Stephen Harper, au plus profond de moi-même.

Sur les questions qui concernent l'ordre public, je suis de façon générale progressiste. Je ne suis pas en faveur de la construction de prisons. Je ne suis pas pour les triples sentences à vie. Je ne suis pas pour la lutte contre la drogue.

Mais des fois, rarement, mon petit Stephen Harper intérieur se réveille. Et il s'est réveillé l'autre jour en lisant les détails de la poursuite d'Alex Giguère, ex-trafiquant de drogue qui travaillait pour des Hells.

Les détails sont dans le texte de mon collègue Vincent Larouche. En gros, les flics ont débarqué au domicile du couple Giguère-Gariépy en pleine nuit en 2009 pour arrêter celui qui était alors l'adjoint de Richard Poutine Leclerc, un Hells Angels qui contrôlait le trafic de crack dans un secteur du centre-ville incluant les stations de métro Berri-UQAM et le Village gai.

La police - SQ, GRC, SPVM - a défoncé la porte avec des balles de céramique. Mme Gariépy a été blessée au bras. M. Giguère a subi des dommages auditifs quand les agents ont lancé une grenade assourdissante.

Pour les blessures et les traumatismes, les demandeurs réclament à Montréal, Québec et Ottawa une somme de 2 millions.

Le tribunal jugera du bien-fondé de la cause, bien sûr. Peut-être même que les demandeurs ont été victimes d'une grave injustice. On verra.

Mais j'ai énormément de difficulté à avoir de la compassion pour un homme qui un jour fait le choix de s'associer aux Hells pour distribuer de la drogue dans les rues de Montréal.

Peut-être que si tu n'avais pas choisi le banditisme comme mode de vie, peut-être que tu aurais pu dormir tranquillement, cette nuit-là, sans voir la police débarquer chez vous.

Quand la police débarque chez l'adjoint d'un Hells full patchs, il faut vraiment croire aux licornes pour penser qu'elle va débarquer là avec la zénitude d'une prof de yoga.

Les avocats du couple écrivent qu'un mois avant la descente, leur client M. Gariépy avait fait la preuve aux policiers qu'il s'était départi de son arme à feu. En conséquence, «la force employée par les agents [...] était sans commune mesure avec le risque réel».

Ils ont écrit cela sans rire, j'imagine. Moi, j'ai ri, fort: tout le monde sait - ALERTE AU SARCASME - qu'un trafiquant de drogue lié aux Hells dit toujours la vérité à la police...

Et quant à Mme Gariépy, elle n'a pas trempé dans le business de son chum. Mais suis-je le dernier des salauds si je crois que sa mésaventure est le corollaire d'être la blonde d'un bandit?

Si tu vis avec un comptable, il se peut qu'il soit occupé en avril et qu'il porte des bas bruns. Si tu vis avec l'adjoint d'un Hells, il se peut que quelqu'un se présente avec des guns à ta porte. Et je ne parle pas juste de la police.

J'ai l'air de manquer de compassion, ici. Je relis ce que j'ai écrit jusqu'ici et je commence à me demander si je pourrais animer une émission à SUN News?

Je suis pourtant d'ordinaire un monument de compassion. Et j'ai un fleuve de compassion pour ces junkies accros aux roches vendues par des gens comme Alex Giguère. Être dépendant à la dope: voilà mon idée d'un certain enfer. Avoir un enfant dépendant à la dope: voilà mon idée de l'enfer.

Je relis la requête de M. Giguère. Je regarde sur Google Street View la photo de sa maison, dans un coin boisé de Saint-Colomban, bien loin des poqués de la jungle urbaine...

Et je me dis qu'être le père d'un junkie du centre-ville mort d'une surdose quand Alex Giguère y faisait le trafic de crack, j'aurais une furieuse envie de me magasiner un cabinet d'avocat capable de déposer une «Requête introductive d'instance amendée en dommage-intérêts» contre ce bandit-là.