Trois jours à L'Isle-Verte: quelques flashs, si vous le permettez, qui montrent l'envers du décor d'un drame qui monopolise la couverture médiatique depuis une semaine.

À L'ÉGLISE - Je m'arrêtais souvent à l'église autant pour me réchauffer que pour parler avec du monde. Je parlais donc avec des gens dans l'église vide. Ils savent que je suis journaliste. Mais on parle de tout et de rien.

D'autres paroissiens entrent. Ils reconnaissent les gens avec qui je jase. Commencent à jaser. Ne savent pas que je suis journaliste. Ils sont de bonne humeur, rieurs. Ça parle de la météo, ça se raconte des anecdotes, ça prend des nouvelles de l'un pis de l'autre, ça me prend à témoin...

Quand je m'identifie comme journaliste, un monsieur prend soudainement un air gravissime. «C'est pas facile, vous savez, ce qu'on vit ici...»

L'espace d'une seconde, le monsieur a mis son chapeau de villageois éploré. Pensant sans doute que c'est le rôle que j'attendais de lui.

LE CURÉ - Gilles Frigon, son nom. Ne jouait aucun rôle. Pleurait quand il en ressentait le besoin. Parlait avec son coeur.

Mais, signe de l'époque, on lui a affecté une attachée de presse.

AU SONIC DE RIVIÈRE-DU-LOUP - J'entre payer mon essence. Un monsieur lit Le Journal de Québec au comptoir.

Il ne sait pas que je vais noter ce qu'il a dit au commis dans mon calepin: «Là, tout le monde braille. Mais chu certain qu'y en a pas la moitié qui allait les visiter...»

Il ne joue aucun rôle.

POLITIQUE - Ballet de politiciens. Certains du coin, certains de passage.

Tous, ils me disent, ils nous disent la même chose: Je ne suis pas ici pour faire de la politique; aujourd'hui, nous sommes tous des Isle-Verdois, blablabla...

Il y a quand même de la politique qui se fait.

On chuchote à l'oreille d'un journaliste que l'adversaire a fait ci et qu'il a dit ça...

On essaie d'être dans la lumière de la caméra.

On n'est pas content que l'adversaire ait plus de lumière. On le fait savoir.

Avant la messe, l'église est bondée. L'Isle-Verte va nommer les choses, entamer sa guérison. Un élu descend les allées, serre des mains, toutes les mains, comme s'il était au crisse de bingo.

UN JOURNALISTE, DANS SON AUTO - Il conduit vers L'Isle-Verte. Deux trucs trottent dans sa tête.

Village tissé serré...

Tout le monde se connaît...

J'ai pas encore vu le village, se dit-il, que j'écris déjà des clichés dans ma tête.

LA MAIRESSE - Il y a deux mois à peine, Ursule Thériault était élue mairesse. Elle a commencé sa première conférence de presse après la tragédie en disant à peu près ceci: Le 3 novembre dernier, nous avions promis de remettre la notion de service au coeur de l'action de la municipalité, c'est ce que nous sommes en train de faire...

Une taloche à l'ancienne administration.

J'ai pas osé l'écrire sur le coup parce que, comme mes collègues, j'aurais voulu que cette mairesse soit comme celle de Lac-Mégantic, ça fitte plus avec la trame narrative d'un tel drame, une mairesse inspirante qui trouve le ton juste, mais...

... Mais j'ose, ce coup-là: la vulgarité, c'est pas juste dire des gros mots.

Et, madame la mairesse, quand on dit «I'm the boss» aux médias locaux, on ne fait pas lire ses discours par la SQ.

Au fait, avez-vous finalement obtenu votre rendez-vous chez la coiffeuse? Je sais que vous cherchiez fort, mardi...

C'est drôle, me semble que votre couette fuchsia, c'est pas une priorité, ces jours-ci.

CHLOÉ - Chloé Sainte-Marie, la porte-parole des sans-voix que sont les aidants naturels? Je la trouve essentielle.

Chloé Sainte-Marie, l'artiste, je ne la connais pas.

Chloé Sainte-Marie, la chanteuse, qui s'est présentée devant les journalistes avec son guitariste pour chanter une chanson fraîchement composée pour le drame, j'ai trouvé ça too much, j'ai trouvé ça déplacé.

Je suis parti, ça suintait le malaise.

En plus, la toune était nulle.

UN AUTRE JOURNALISTE, DANS SON AUTO - Au téléphone, c'est son boss. «Oublie pas, dit-il au reporter, on veut de l'émotion. Montre-nous l'émotion.»

Le format...

Chacun joue son rôle.

AU RESTO LE BARILLET - Une jeune mère de famille accroche un journaliste. Ils jasent. «Je ne suis pas triste. Est-ce que je suis une mauvaise personne de dire ça?»

Elle hésite. Continue.

«Si le feu avait eu lieu dans l'école, des enfants qui ont toute leur vie devant eux, ça aurait été un drame.»

Je sais ce que vous pensez... Sale chipie sans émotions.

Et pourtant, non. Juste un truc qui ne se dit pas, mais qu'on pouvait deviner entre les lignes, parfois. Un truc qu'elle n'aurait pas dit si elle avait joué, elle aussi, son rôle de villageoise éplorée.

Rôle qu'elle aurait joué si le journaliste avait sorti son calepin pour jouer le sien.

À L'ÉPICERIE - Ils ont fait l'épicerie, c'est le moment de payer. L'homme porte sa tuque, déjà prêt à affronter le froid. Sa dame est derrière lui. Elle le taquine, lui et son sac recyclable qui semble usé.

Ils rient. La caissière aussi.

La vie continue, le quotidien aussi. Quoi qu'on en dise, L'Isle-Verte n'était pas, n'est pas qu'un village éploré.