Je te trouvais tellement beau, ça n'avait aucun sens.

Aucun sens que je te trouve si beau alors que le cancer avait ravagé ton corps. Toi, t'étais magané, t'étais gêné, t'avais honte.

Je m'en foutais tellement. Moi, je ne t'avais jamais trouvé aussi beau.

C'était le jour avant, avant ta mort. On a pris un bain. Prendre un bain, quoi de plus banal? Un moment qu'on prend souvent à la légère, parce que ça arrive des milliers de fois dans une vie.

Mais ce bain-là a été un des plus beaux moments de ma vie. Laver mon homme, prendre soin de lui, l'aider à sortir parce que ses jambes ne le supportaient plus. On sentait bon en titi.

C'est fou, la maladie. Tout devient important. Ce n'est pas moi qui dis ça, «tout est important», c'était dans la chronique de Lagacé, l'été passé. Il parlait d'une exposition de photos sur des gens qui venaient tout juste de mourir. Un de ces morts, enfin, il a dit ça avant de mourir, un de ces morts disait: «Maintenant, tout est devenu important.» Ça m'avait frappée, ces mots-là. Je lui avais écrit un petit mot.

Ça ne peut pas être plus vrai: tout était devenu important, l'année de ta mort. À travers la maladie, nous avons appris à vivre chaque instant comme si c'était le dernier. Nous nous sommes dit tout ce que nous avions à nous dire, nous avons fait tout ce que nous avions besoin de faire, dans l'humour et l'amour. De la même façon que nous avons vécu notre vie ensemble, mais en réalisant chaque moment, chaque instant, chaque parole.

Avant la maladie, on ne remarque plus rien, on es sur le pilote automatique. C'est la vie. Des fois, on sortait, chacun de notre bord. On s'aimait beaucoup, mais quatre enfants, c'est de la job. On n'a pas trop d'intimité, disons. On faisait des jokes: quatre enfants, ça tue l'amour. Aujourd'hui, j'ai fait la paix avec le fait qu'on s'est tenus pour acquis. Et que quand on l'a réalisé, c'était trop tard.

L'année de la maladie, on n'a jamais autant trippé sur des trucs auxquels on ne prêtait pas attention, avant. Se bercer! Y a-t-il de quoi de plus niaiseux qu'une balançoire? Ben oui, une balançoire de banlieusards, on en avait acheté une et on se berçait dehors. Une chose parmi tant d'autres, qu'on ne faisait pas d'habitude.

Et après 11 ans de vie de couple et quatre enfants, faire l'amour, c'est souvent moins magique. Quand on sait que c'est la dernière fois, par contre...

C'était trois semaines avant. Malgré la douleur, malgré la maladie, nous avons fait l'amour une dernière fois. Mon homme, mâle, rustre, tu as pleuré du début à la fin. Je t'ai demandé: Pourquoi t'as de la peine? Tu as dit: C'est la dernière fois, pis je le sais.

Moi aussi, je le savais.

Quand ça s'est mis à dégénérer, on t'a rentré à l'hôpital. Le verdict est tombé: quatre jours, max. On s'est trouvé une auberge, on est allés avec les enfants. Je te shootais à la morphine, mais on s'en fichait: on a trippé comme des malades...

Je regarde une photo prise la veille de ta mort, une photo prise le jour du bain. Sur la photo, tu es maigre, tu es vert. Mais ce jour-là, je ne te voyais pas comme ça.

Peut-être que je te voyais avec les yeux de l'amour?

Peut-être que c'est juste que les yeux finissent par s'habituer? Je ne sais pas.

Je sais juste que je te trouvais tellement beau.

François Jalbert avait 46 ans quand il est mort d'un cancer du côlon, laissant derrière lui quatre enfants de 5 à 12 ans et sa blonde, Judith Malenfant, 35 ans. Cette chronique, à la première personne, je l'ai écrite à partir d'un texte que m'a envoyé Judith, ainsi que de ses paroles, recueillies en entrevue.