Notre chroniqueur a dîné avec les trois candidats à la direction du PLQ, Philippe Couillard, Pierre Moreau et Raymond Bachand. Voici le compte rendu du dernier repas avec un aspirant premier ministre, l'ex-ministre des Finances Raymond Bachand.

S'il y a une chose à laquelle je ne m'attendais pas, en rencontrant Raymond Bachand, c'était à entendre des jurons sortir de sa bouche. Avec une préférence pour le «crisse», même sous forme de verbe. On m'avait décrit un homme plate comme de la muzak d'ascenseur. Au contraire, tab...

Alors, M. Bachand, pourquoi voulez-vous devenir premier ministre du Québec?

«Je suis un passionné du Québec depuis ma jeunesse. Depuis mon enfance. Je me souviendrai toujours du jour, en 1959, quand mon père est rentré à la maison et a dit: «Le soleil va se lever sur le Québec: Duplessis est mort.» Je suis un passionné du développement du Québec. En 2012, quand je regarde vers 2020, le Québec a besoin à sa direction de gens qui connaissent l'économie. T'as beau avoir toute la solidarité qu'on a - parce que tu fais de la politique pour aider les gens en santé, en éducation, en logement, en culture -, c'est une illusion si t'as pas d'argent. Regarde l'Espagne, la Grèce! Je fais de la politique pour la génération de mes enfants, qui ont 33, 31 et 29 ans: je veux leur laisser un pays où ils seront maîtres de leur destin, en 2020. Là, dans huit ans, vous me crisserez dehors...»

Il a beaucoup à dire sur le choc avec les étudiants. Me confie qu'il a participé à une réunion de négociations «secrète» avec Martine Desjardins et Léo Bureau-Blouin, pendant ce printemps agité. Que ses offres ont été rejetées parce que les deux leaders étudiants exigeaient que tout deal implique la CLASSE. «Je savais qu'aucune entente ne serait possible.»

Les Québécois sont mûrs, croit-il, pour une «conversation» à propos du financement de tous les services publics, pas seulement les droits de scolarité. «On ne peut pas constamment en demander plus, comme société, que ce que le fruit des revenus collectifs rapporte.»

J'ai voulu l'entendre sur ce printemps érable, qui est l'écho, selon moi, de quelque chose de plus large, de plus profond que les seuls droits de scolarité. On y entend l'écho des 99% qui s'étaient exprimés, avant, en Espagne et dans les Occupy Wall Street de toutes sortes: des gens qui se demandent pourquoi le 1% de l'élite économique mondiale parvient toujours, lui, à surfer sur le bien public, et à le fourrer, le public...

«Tu parles de justice sociale, me dit Raymond Bachand, et je pense à ce qu'on a fait dans la lutte contre la pauvreté, en haussant constamment le salaire minimum. Mais c'est pas vrai que tu te fais fourrer par les élites. Les élites capitalistes mondiales, peut-être, mais pas au Québec.

- Jamais?

- Jamais, répète-t-il en réfléchissant à voix haute. Y a des bandits partout. Dans la police, dans les partis politiques, même chez les journalistes. Partout!»

Je lui donne l'exemple de cette route construite par l'État - 300 millions de dollars - pour la société minière Stornoway, dans le nord du Québec. Comment ne pas y voir un cadeau? Si c'est si payant, la putain de mine en question, pourquoi elle ne la paierait pas, sa route?

Pour l'ex-ministre des Finances, c'est un «pari» que son gouvernement a fait: payer l'essentiel de cette route pour Stornoway, c'est peut-être faire débloquer «deux, trois autres projets» miniers. Sans compter qu'il y aura un nouveau parc national dans ce coin-là: on donne accès au territoire.

Je comprends le pari. Mais je m'en fous: cadeau de 300 millions, c'est tout ce que je vois.

«Je comprends la perception des gens. Est-ce compliqué à expliquer? Oui. T'as 12 secondes pour expliquer à la télévision, peu d'espace dans les journaux...»

Ce que je trouve compliqué, moi, c'est de comprendre pourquoi Hydro-Québec, notre société d'État, garde secrets les contrats qui cèdent à des firmes privées l'exploration du potentiel pétrolier de l'île d'Anticosti. Ça, ça me donne envie d'utiliser des dérivés du juron crisse.

«Je ne comprends pas qu'elle ne soit pas publique, cette entente. C'est pourtant pertinent pour les actionnaires des firmes privées en question. Dans cette entente, je pense qu'Hydro a des options, s'il y a beaucoup d'argent, soit de revenir, soit d'avoir des royautés.

- Mais l'avez-vous vue, l'entente?

- Je vais répondre comme si j'étais en interrogatoire. Techniquement, non, je ne l'ai pas vue.»

Il sourit, semble se retenir. Finit par dire qu'il a posé beaucoup de questions: «Quand il y a quelque chose pour que le Québec s'enrichisse, je veux savoir c'est quoi.» Il dit qu'il était intrigué par le pétrole d'Anticosti. Donc?

Il sourit.

«J'ai eu un certain nombre de réponses. Qui me donnent à penser que les gestionnaires d'Hydro font les choses correctement. Mais je peux être dans l'erreur, quand on verra le texte détaillé. Mais quand j'ai eu ces réponses, j'ai dit O.K., je peux arrêter de creuser.»

On me l'avait décrit comme un homme plate comme la pluie. C'est pourtant avec Raymond Bachand que je me suis le plus amusé, finalement. C'est le moins coincé des trois candidats que j'ai rencontrés. J'ai un faible pour un homme politique capable d'échapper un juron du terroir de temps en temps, même s'il l'échappe en parlant du nez.

Mais comme à peu près tous ceux qui veulent mon vote, je regarde Raymond Bachand et je me demande s'il sait qu'il gouverne (rait), au fond, pour ne pas déplaire à ce foutu 1%...

«Quand le Fraser Institute dit que le Québec est la meilleure juridiction au monde [pour l'exploitation minière], c'est probablement que tu te fais avoir.»

S'il devait refaire le printemps étudiant: «Je négocierais sur la place publique. Pas derrière des portes closes. Nous, on négociait de façon traditionnelle. Les trois leaders étudiants, eux, tous les jours, ils étaient partout: à la télé, à la radio, dans les journaux...»