Elle s'appelait Amanda Todd et elle avait 15 ans quand elle s'est suicidée, il y a une semaine, à Port Coquitlam, en Colombie-Britannique. À une autre époque, en 1982 par exemple, vous n'auriez jamais entendu parler d'Amanda Todd.

Vous n'en auriez jamais entendu parler ici, en tout cas. En Colombie-Britannique? Peut-être. Peut-être pas.

Mais l'époque est numérique et Amanda a raconté son histoire sur YouTube avant de mourir. Depuis, l'histoire d'Amanda ne fait pas seulement le tour du pays, elle fait le tour du monde.

C'était donc le 7 septembre dernier et Amanda, petite brune toute menue, a raconté son histoire sur YouTube. Sans dire un seul mot: Amanda a écrit son histoire sur des petits cartons blancs, qu'elle a fait défiler une phrase à la fois.

Un jour, quand elle était en 7e année - elle avait donc 13 ans -, Amanda s'est dénudée devant une webcam, sur le web. Elle a montré ses seins à l'étranger qui la complimentait sur sa beauté. Bien sûr, elle n'aurait jamais dû faire ça. Cette seconde de bêtise lui a valu une éternité de tourments. Mais que celui qui n'a jamais fait de connerie à 13 ans lance la première souris d'ordinateur.

Un an plus tard, c'est Hiroshima qui a explosé dans le compte Facebook d'Amanda: un internaute anonyme lui a annoncé être en possession de cette photo d'elle. De cette photo d'elle nue.

«Il en a fait une page Facebook, pouvait-on lire sur un des carrés blancs. Et sa photo de profil, c'était mes seins.»

La photo s'est évidemment mise à circuler dans le petit milieu d'Amanda. Les ados peuvent être cruels et ils l'ont été, au cube. De changements d'école en crises d'anxiété, rien à faire: pour son petit univers, elle était la «pornstar», la salope.

«Je ne peux pas reprendre cette photo», écrit ensuite Amanda, avant de raconter les quolibets, la dope pour oublier, les 15 jeunes qui se sont présentés à son école pour la terroriser, les taloches...

La vidéo prend fin sur l'image du bras d'Amanda, sur lequel perlent des gouttes de sang. Derrière, un couteau.

Un mois plus tard, Amanda était morte.

Le drame d'Amanda Todd est un drame du XXIe siècle. En 1982, les petites filles n'acceptaient pas de se faire photographier les seins nus devant une webcam: il n'y avait pas de webcam. Il n'y avait même pas de web! Il n'y avait pas Facebook pour disséminer la putain de photo de toi, les seins à l'air.

Et au moins, une fois dans ta chambre, au sous-sol, t'avais la paix. Un peu. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y avait pas de suicides. Il y en avait. En fait, il y en avait même plus qu'aujourd'hui, chez les ados: le suicide chez les jeunes Canadiens, en hausse constante dans les années 70 et 80, a commencé à baisser dans les années 90.

Je ne suis pas en train de dire que la technologie est mauvaise. Je suis dans le camp de ceux qui répètent ce mantra chaque fois que la vie virtuelle de quelqu'un a des conséquences dans sa vie réelle: «La technologie est neutre.» Ce mantra a un proche cousin: «C'est ce qu'on fait avec la techno qui la rend bonne ou mauvaise.»

Tenez, les tortionnaires d'Amanda ont sûrement laissé des traces numériques de leurs forfaits. Cela aidera sûrement la Gendarmerie royale du Canada dans son enquête. Et Anonymous, cette nébuleuse de justiciers virtuels, prétend même avoir retracé celui qui a poussé Amanda à se dénuder: son nom et son adresse ont été publiés. L'homme de 30 ans est désormais victime de... cyber- intimidation. C'est la même technologie qui permet tout ça.

Je ne sais pas si la technologie est neutre, au fond. Mais je lis et je relis les mots d'Amanda et j'ai le vertige quand je pense à un truc...

Maudit que ça a l'air dur d'être jeune, de nos jours.

Oui, l'intimidation a toujours existé, même avant qu'on ne lui trouve un nom et qu'on la dénonce par des campagnes de sensibilisation. Mais il y a quelque chose de tout à fait cinglé dans la facilité avec laquelle on peut, de nos jours, harceler et intimider autrui. La technologie a beau être neutre, cette putain de photo d'Amanda n'avait rien de neutre quand c'était le gourdin qu'on utilisait pour la terroriser. Tout cela, bien protégé par l'immunité que procure l'anonymat numérique.

Maudit que ça a l'air dur d'être jeune, de nos jours. Pensez à ces mots terribles écrits par Amanda dans sa vidéo sur YouTube...

«Et sa photo de profil, c'était mes seins.»

Dans cette toute petite phrase, il y a toute la perversité de notre époque qui mêle réel et virtuel. Une perversité d'un calibre jamais vu jusqu'ici.