J'aime bien le terme «printemps érable». Bien sûr, le printemps québécois de toutes les colères n'a rien à voir avec le Printemps arabe. Jean Charest n'est pas Hosni Moubarak; le Québec n'est pas la dictature tunisienne. Voyons-y un clin d'oeil plutôt qu'un calque des révoltes arabes de l'an dernier.

Ce printemps érable, d'abord porté par les étudiants, il était à la fois prévisible et imprévisible.

Prévisible parce qu'il est la manifestation locale d'un ras-le-bol mondial qui germe depuis une douzaine d'années.

Vous vous souvenez de toutes ces manifestations altermondialistes des années 2000? Elles ont commencé en 1999, à Seattle, quand les opposants à l'ordre du monde ont pris la rue pour perturber une réunion de l'Organisation mondiale du commerce. Ce fut le lancement d'une décennie de manifs en marge de sommets consacrés au libre-échange et aux échanges entre chefs des pays du G20 et du G8.

La dernière incarnation de ce courant qui lutte - de façon échevelée, désorganisée, tonitruante - contre l'ordre établi nous est arrivée l'an dernier. Tout le mouvement Occupy, parti de Wall Street, qui décrie la mainmise du proverbial «1%» sur les leviers décisionnels, était l'héritier de Seattle.

Prévisible parce qu'au Québec, après des années de somnolence, les citoyens ont commencé à reprendre la rue, dans les années 2000. Il y a eu la manif contre la guerre en Irak (2003). Celle contre la centrale thermique du Suroît (2004). Puis, ponctuellement, d'autres mobilisations citoyennes, le plus souvent articulées autour d'inquiétudes liées à des projets touchant les ressources naturelles (uranium sur la Côte-Nord; gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent; ports méthaniers de Gros-Cacouna et de Lévis, etc.).

De l'altermondialisme sauce Seattle à la rage des propriétaires québécois écoeurés de se faire marcher sur les pieds par les marchands de gaz de schiste, on trouve des filiations.

L'impression de n'avoir que peu de prise sur les décisions qui touchent nos vies.

La certitude, au final, que l'État, chargé de représenter les citoyens, est intimidé par les intérêts privés.

La protestation comme ultime façon d'être écouté.

Pour tout cela, le feu du printemps érable était prévisible. Il couvait. On en avait des effluves dans les médias traditionnels, souvent par des couvertures anecdotiques (affrontements entre manifestants et policiers en marge des sommets économiques) ou des commentaires caricaturaux («oh-que-les-gens-d'Occupy-ont-l'air-d'une-gang-de-pouilleux»; «regarde-les-communisssses!»).

Mais le terreau de la contestation était là. La manif du jour de la Terre, le 22 avril, c'était quoi, vous pensez?

Ce feu qui couvait s'inscrivait dans l'éveil du 99%, de la masse, des «autres», ceux qui ne font pas partie de l'infime minorité de citoyens riches qui s'enrichissent de plus en plus. Décrivant ces gens qui manifestent dans nos rues, Normand Baillargeon, prof à l'UQAM, a utilisé ces mots dans son blogue du Voir, cette semaine: «Ce que ces personnes réhabilitent, et dont plusieurs avaient oublié jusqu'à l'existence, ce sont les idées de démocratie, de bien commun, et de combat politique.»

Quand les indignés étaient des jeunes qui citaient Noam Chomsky en pestant contre l'OMC, on pouvait les traiter d'idéalistes. Quand ils envahissaient les places publiques en pourfendant les banquiers avec leurs ponchos achetés dans les Andes, on pouvait les caricaturer. Quand ils étaient étudiants en grève, on pouvait dire «tss, tss, c'est un boycottage» en les traitant de bébés gâtés qui doivent faire leur part.

Aujourd'hui, les indignés qui sortent leurs casseroles et qui prennent la rue, qui ont l'impression de ne pas avoir une prise très forte sur les rouages de leur société, ce ne sont plus des marginaux qu'on peut aisément disqualifier. Ils sont monsieur et madame Tout-le-monde.

Ça devient soudainement un peu plus gênant pour certains commentateurs et certains politiciens de les caricaturer et de les mépriser, ces impossibles musiciens de la contestation. Parce que ces gens qui font du bruit à 20h chaque soir depuis une semaine, à Montréal et ailleurs, ce sont les lecteurs de ces commentateurs, ce sont les électeurs de ces politiciens. Oups.

Pour devenir une tempête parfaite, le printemps érable avait besoin du battement d'ailes d'un papillon. C'est le côté imprévisible, qui est venu déguiser en loi qui pue l'autoritarisme et l'arbitraire. Le prétexte des casseroles, l'étincelle qui répand la colère étudiante ailleurs, c'est la «loi 78».

Mais ce printemps érable n'aurait pas vu la lumière du jour sans les neuf ans de pouvoir de Jean Charest: une quasi-décennie marquée par un buffet de dérives éthiques, grandes et petites. Si 2012 était la seconde année de pouvoir de M. Charest, nous n'en serions pas là. À bout de souffle, le gouvernement habite un univers divorcé du réel.

Là-dessus, une anecdote cocasse, qui résume bien des choses. Vendredi, sur RDI, Clément Gignac, ministre du Plan Nord, s'est désolé de toutes ces contestations: «Ce n'est pas le Québec que je connais.»

Pas le Québec que vous connaissez, monsieur Gignac?

Vous devriez passer moins de temps dans les chambres de commerce.