Petit détour par Bernard Drainville pour parler de Gilles Duceppe. Au printemps, en pleine débandade péquiste post-psychodrame du nouveau Colisée de Québec, le député de Marie-Victorin a lancé sa propre «saison des idées» et sollicité l'avis des Québécois.

Drainville a commis là une entorse aux bonnes manières politiques du XXIe siècle: de nos jours, la vie d'un parti, ça tourne autour du chef.

Seulement le chef.

Il fut une époque où c'était différent. Il fut une époque où les chefs politiques étaient appuyés par des poids lourds.

Derrière Lévesque, la première équipe péquiste comptait des canons: Parizeau, Morin, Payette, Charron, Bédard, Morin, Garon. Parizeau et Bouchard ont eu l'omniprésent Bernard Landry.

Derrière le Robert Bourassa version 2.0, il y avait Johnson, Côté, Paradis, Bacon. Et un homme fort, une éminence grise: Claude Ryan.

Aujourd'hui, qui est (ou a été) le Claude Ryan de Jean Charest?

De grâce, ne dites pas Nathalie Normandeau. J'essaie de pondre une chronique sérieuse, ici.

Même l'opposition souffre du syndrome du «Chef Soleil». C'est ainsi que Drainville a été publiquement exécuté par ses propres camarades députés, outrés qu'il ait osé attirer l'attention sur lui en marge du sacro-saint caucus. Qu'importe si Drainville, l'été dernier, a été à peu près le seul péquiste à se battre sur le terrain médiatique avec François Legault.

Dans un clin d'oeil ironique et postmoderne, la rebuffade du caucus est venue d'une députée dont la notoriété ne dépasse pas les soupers spaghettis de sa circonscription. Je n'avais jamais entendu son nom.

Pardon?

Elle s'appelle Danielle Doyer?

Elle est députée depuis 1994?

Heureusement qu'il y a Wikipédia.

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Élu cinq fois député, Jean Garon était de la vague péquiste de 1976. Il a été ministre sous Lévesque et sous Parizeau. Garon, on le sait, n'a jamais été très bon dans la langue de bois. C'est lui qui m'a ouvert les yeux sur le caractère décoratif de ceux qui ne sont pas chefs, de nos jours.

«Chez les libéraux, aucun ministre ne parle, m'a-t-il dit dans un restaurant de Québec, pendant la campagne électorale de 2008. Seul Jean Charest parle. C'était la même chose avant les élections. Même chez les péquistes, c'est comme ça! Avez-vous entendu parler Pierre Curzi depuis qu'il a critiqué la venue de McCartney? Seuls les chefs parlent. Les autres, ils ne peuvent pas parler. Philippe Couillard parlait, c'était le seul.»

Jean Garon m'avait résumé l'époque avec sa verve habituelle: «Jamais on ne m'a dit de me taire! Là, on voit que les élus se font dire de ne pas parler. C'est quand ils deviennent des ex qu'ils parlent dans les médias!»

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Revenons donc à Gilles Duceppe, qui se tenait depuis des semaines en réserve de la République péquiste, pesant soigneusement ses mots pendant le putsch (de sous-doués) qui visait Pauline Marois.

Mais Duceppe s'est désisté dimanche, après que la (méchante! méchante!) Presse eut révélé cette affaire de rémunération du DG du Bloc à même l'enveloppe parlementaire. L'entourloupette est d'intérêt public mais, dans le grand buffet des entorses à la salubrité politique, on est loin du comptoir du scandale des commandites ou des permis de garderie refilés aux amis du pouvoir. Rien qui eût pu empêcher Duceppe d'entrer au PQ. Même Bob Rae, chef du PLC, a défendu l'intégrité de l'ancien chef du Bloc.

Ma théorie? L'histoire était un joli prétexte pour Duceppe: il savait bien que ses appuis à l'intérieur du PQ n'étaient pas assez nombreux pour le couronner chef dans l'éventualité d'un putsch réussi.

Mais justement, je ne comprends pas pourquoi l'action d'un Gilles Duceppe passe forcément par le poste de chef du PQ.

Qu'est-ce qui empêche un leader admiré du mouvement souverainiste de se présenter comme député? Je pose la question: pour l'idée de pays, Gilles Duceppe est-il plus utile sur les pistes cyclables de Rosemont ou aux côtés de Pauline Marois?

Oui, il a été chef. D'un autre parti. Et après? Claude Ryan, lui, avait été chef du PLQ avant de devenir le bras droit de Robert Bourassa.

Avant, à une autre époque, ce genre de casting était possible.

Aujourd'hui, la monoculture politique crée des plantes vertes dont on exige d'enthousiastes hochements de tête, sur la tribune, derrière le chef, quand celui-ci largue son message du jour pour la tivi.

Rien de plus.

L'arrivée d'un Duceppe bouleverserait peut-être cette monoculture ennuyeuse.