Alain me parlait de sa vie, du bras robotisé qui va lui simplifier la vie, des employés qu'il embauche pour prendre soin de lui, de son appartement-prison, qu'il n'a quitté que trois fois depuis le 9 octobre. Il me racontait tout ça. Une question me revenait en tête, je n'osais pas la poser.

Comment tu fais, Alain?

Alain Gaudet, 38 ans, a un corps en forme de grimace. Une grimace confinée à un fauteuil, gracieuseté de l'amyotrophie spinale de type III (Kugelberg-Welander), sale cousine de la dystrophie musculaire, une maladie dégénérative incurable.

Les muscles raidissent petit à petit. Ça explique son index en forme de crochet, par exemple. L'esprit, lui, est là, bien vaillant, bien vivant. Celui d'Alain est facétieux.

«Si je sors l'été? Qu'est-ce que tu penses! Mon sport préféré, c'est de prendre des coups de soleil.»

Bref, vous pouvez imaginer sa vie. Un homme prisonnier de son corps. Qui trouve la force de faire des blagues. J'arrête, Alain va penser que j'ai pitié de lui. Il pourrait bien décider de me foncer dessus avec son fauteuil.

Le bras robotisé, donc, s'appelle JACO, fabriqué par la firme montréalaise Kinova. Pensez à une version miniaturisée du bras canadien de la navette spatiale.

Deux employés de Kinova, Laurie et François, installaient JACO au fauteuil d'Alain quand je suis passé le voir, en ce glorieux après-midi printanier, à Trois-Rivières, au troisième étage du bunker qu'il habite, seul.

Ce JACO coûte 35 000$. Alain, qui vit de l'aide sociale, n'a pas 35 000$, vous vous en doutez bien. Un jour, une ergothérapeute du centre L'Intervalle l'a appelé et lui a parlé de ce nouveau bras robotisé.

Alain a vu. Il a aimé.

Rien à voir avec les bras robotisés pour handicapés, qui sont habituellement des robots industriels modifiés. Et donc peu adaptés pour aider un type comme lui.

Non, JACO, c'est autre chose: un bras léger, sensible, facile à manier grâce à une manette. En fibre de carbone, élégant, doigts finis en caoutchouc, pour l'adhérence.

«Quand je l'ai essayé, il y a quelques mois, j'ai réussi à me mettre du baume à lèvres, alors que mes mains ne se rendent plus à ma bouche!» dit-il pour illustrer à quel point c'est une machine hallucinante.

Mais bon, c'est quand même 35 000$. Où trouver 35 000$ quand on vit de l'aide sociale et qu'on est emprisonné dans un bunker six mois par année?

Alain a décidé qu'il aurait ce JACO. Pas par caprice. Par pure nécessité. Car plus le temps passe, moins il peut bouger.

«Tiens, regarde la bouteille d'eau, sur la table...»

Sur la table de la cuisine, une bouteille de 330 ml dans une gaine thermique bleue.

«Je suis incapable de la prendre et de la porter à ma bouche, dit Alain. C'est aussi lourd que 50 lb pour toi.»

Et moins il peut bouger, moins il peut porter eau et nourriture à sa bouche, plus approche le moment où il ne pourra plus vivre dans cet appartement adapté.

Vous me suivez?

JACO, pour Alain Gaudet, repousse l'échéance. Repousse le moment où il va devoir quitter son logement. Et quand ce moment-là arrivera, je ne suis pas sûr qu'Alain acceptera d'aller au CHSLD. Mais ça, c'est une autre histoire.

«Je me suis demandé quelles forces j'avais. J'avais des tas de contacts sur Twitter, sur Facebook. Ils connaissent ma vie. J'ai décidé de les solliciter.»

Solliciter, dans le sens de demander des dons, bien sûr, mais aussi de l'aide pour organiser des collectes de fonds. Alain savait que, du côté de l'État, il n'y avait pas une cenne à aller chercher. Même si JACO fait économiser du fric à l'État en frais de préposés au bénéficiaire qu'est Alain.

Il s'est alors passé un drôle de truc: ça a marché! Touché par sa débrouillardise, Jeff Fillion - oui, oui, le vilain garnement de Radio Pirate -, avec qui il correspondait depuis des années, a parlé d'Alain et de son JACO abondamment.

L'humoriste Mike Ward a eu vent du projet d'Alain; il a passé le chapeau pour lui à la fin de certains spectacles. Il a même fait monter Alain sur scène. Le fric s'est mis à arriver. Stéphane Dupont, animateur à CHOI, à Québec, a lui aussi donné le crachoir à Alain.

Et là, un rebondissement formidable. Quelqu'un a appelé Kinova, à Montréal, et a offert de payer ce qui restait à payer pour qu'Alain Gaudet ait enfin son bras robotisé. Facture: 22 000$. Formidable? Il y a le don, oui. Mais c'est un don anonyme: l'ange aux 22 000$ ne veut surtout pas qu'on sache qui il est. Mon genre de philanthropie...

Jeff Fillion: «C'est la nature humaine, non? On se plaint tout le temps. Mais Alain, tu le vois et tu relativises tout. Il a un moral d'acier. Alain, c'est une motivation pour moi. Ça donne un choc, quand tu le vois la première fois. Mais il ne se plaint jamais. Même s'il souffre, même si c'est de plus en plus compliqué pour lui.»

Alain, dans son appart, me racontait donc sa vie, musique du diable de Radio Pirate en sourdine.

«T'as hâte de sortir, Alain?

- Mets-en. Cet été, je veux faire de la photo. Je ne sais pas comment, mais je vais faire de la photo.»

Lu sur le compte Twitter d'Alain: «L'important, ce n'est pas ce qu'on supporte, mais la façon de le supporter.»