Mon fils a collé sa face sur la mienne, comme il le fait à peu près chaque matin pour me réveiller, et a commencé la conversation comme si, justement, j'étais réveillé.

«Papa! Papa! Il neige!»

J'ai mis les morceaux du puzzle en place, lentement, à tâtons, en me réveillant, pas trop sûr de ce que la chair de ma chair annonçait, encore groggy, encore prisonnier de ce rêve où j'étais retenu en otage par les mannequins du Sports Illustrated, édition Bora Bora Bikinis 2011. Zak est intervenu au moment où j'étais attaché à un palmier, voyez-vous, et...

 

Neige.

Tempête.

Trente-cinq centimètres.

T'es sûr? T'es allé voir à la fenêtre?

Oui. Il neige VITE!

L'héritier a fait mouliner ses bras. C'est comme ça qu'on dit, à 4 ans, que la neige tombe fort.

Pelle.

Banc de neige.

Bordel.

Où est le palmier?

Ça commence.

Je me suis levé, plein d'appréhension moi aussi, comme vous. Première tempête de la saison 2009-2010! Ça fait rire les enfants, évidemment. Les parents, un peu moins. Encore moins quand les écoles ferment à cause de la tempête. Pour les enfants, évidemment, les écoles ferment grâce à la tempête. C'est pour ça que la ville était déserte, hier: le 450 a dû garder ses enfants.

À la radio, Mme Bombardier s'était portée volontaire pour intellectualiser cette tempête de neige. Avec son style incisif et inimitable, celui qui nous prévient inlassablement des périls modernes, elle nous a expliqué gravement que notre obsession collective pour la neige relève, si je me souviens bien, du refus du risque.

J'aimerais vous en dire plus, mais depuis que M. Arcand a changé l'heure de l'intervention de Mme Bombardier, je ne l'écoute plus que d'une oreille, en préparant les oeufs. Avant, j'étais plus disposé à être éclairé de son savoir. J'écoutais la redoutable intellectuelle des deux oreilles puisque sa chronique tombait en plein pendant ma douche matinale.

Oui, avant, j'écoutais Mme Bombardier nu.

Un jour, je vous intellectualiserai la chose.

J'ai donc suggéré au boss une petite randonnée dans la ville, la ville paralysée, évidemment. LA VILLE PARALYSÉE est un classique de manchette de média qui couvre une tempête de neige qu'on espère impitoyable.

J'allais donc revenir de cette randonnée, c'est sûr, le calepin plein d'anecdotes aussi croustillantes qu'enneigées: vieilles dames se fracturant la hanche en glissant sur les trottoirs abandonnés à la neige; troupeaux d'automobilistes bloqués rue Saint-Denis, incapables de fuir la ville; ambulance coincée dans un banc de neige, héroïquement sortie de là par le journaliste et le photographe de La Presse; commerçant fâché de la lenteur des opérations de déneigement, montrant le poing pour l'objectif d'Alain Roberge...

Eh bien, non. Rien à signaler.

Les rues? Correctement déneigées.

Les trottoirs? Dégagés.

Les embouteillages? Aucun.

Les gueules des Montréalais? Réjouies.

Les Montréalaises? Belles, même en tuque et anorak.

Parlant de beauté, le truc formidable, avec la neige, c'est qu'elle rend cette ville un peu plus belle. Ce qui n'est pas rien! Boulevard Saint-Laurent, avenue du Mont-Royal, rue Saint-Denis, hier, avec cette petite poussière qui se mariait aux lumières de Noël, Montréal était presque belle, Montréal avait presque du panache. Pas Barcelone. Mais pas Winnipeg non plus.

Je vous dis tout ça et c'est rien pour écrire à sa mère. Y a pas de nouvelle. Je ne peux même pas écrire LA VILLE PARALYSÉE dans cette chronique.

J'ai donc essayé, subrepticement bien sûr, de pousser une vieille dame pour l'aider à se casser une hanche, question d'avoir au moins un détail de tempête croustillant à écrire.

Elle n'est même pas tombée!

Cette tempête est un coït interrompu, j'en ai bien peur.