Mercredi soir, je croise un avocat de ma connaissance, c'était la veille du premier match à Boston:

-Canadien va gagner?

-Ah, qu'ils aillent au diable.

-T'aimes pas le CH?

-M'ont fait suer toute l'année...

Et l'avocat, tout pimpant, de me dire que les Bruins ont perdu 24 des 31 séries disputées contre le Canadien. «J'aborde ça de façon empirique», m'a-t-il certifié.

Moi, de façon catholique: ils ont mal agi, ils doivent payer. Les p'tits gars ont travaillé pas mal plus fort sur Saint-Laurent que sur De la Gauchetière. Méritent pas qu'on se pâme sur eux...

Dîner avec Vincent, un chum fan du CH, fan fini, chez le Mexicain, plus tôt cette semaine. Fan fini? En phase terminale, plutôt. Incapable de même regarder un match du Canadien à RDS. Trop nerveux. «Si c'est 5-2 Canadien, ça va. Mais 3-3 avec 10 minutes à jouer? Oublie ça.»

J'ai tenté de lui exposer ma théorie selon laquelle le CH doit souffrir, mérite de perdre en quatre, en trois, même, si une telle chose était possible. Au nom d'une certaine justice immanente.

Mais, bon, c'était comme dire à un moine que Dieu n'existe pas.

«Écoute, je ne peux pas te comprendre, Pat. Moi, quand le Canadien perd, je perds mes moyens. Faire l'amour à ma blonde après une défaite? Oublie ça.»

Et Vincent parlait de la saison régulière.

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Un autre ami, André, légende vivante de la télévision canadienne-française, qui s'en va vivre au Congo, pour faire de la télévision congolaise (c'est une longue histoire, j'y reviendrai). La coopérante américaine qui l'embauche le voudrait à Kinshasa demain matin, ce qui embête mon ami.

«Je savais pas si je devais lui dire que je peux pas: les séries commencent...»

Bref, la ville n'est peut-être pas hockey comme l'an dernier, mais on ne manque pas de fiévreux pour porter bien haut le flambeau.

Ah, moi, non. Pas de fièvre. Mon statut Facebook, jeudi: «Patrick Lagacé espère que Canadien va être dépecé, anéanti, pulvérisé en quatre.»

Puis, jeudi soir, j'ai attrapé la première période dans l'auto, par hasard, en faisant des courses. Canadien tirait de l'arrière: 0-2.

Arrivé à la maison, j'ai installé un nouveau cadenas sur la porte de la cour. Il faisait noir, le temps était doux, juste assez frais pour ouvrir les fenêtres. J'ai entendu un gros FUCK! du bout de la ruelle. J'ai pensé, tout de suite un gars qui regarde le match...

Puis, ce questionnement: c'est quoi le score?

J'avais, soudainement, l'envie très pressante de connaître le score du match. Pressante comme une envie d'aller au petit coin.

Allume la télé: Boston 2, Canadien 1, 2e période...

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Envie irrépressible de regarder le match. J'ai quand même baissé le son, pour lire à l'héritier son histoire d'avant-dodo.

C'est l'aventure d'une taupe qui sort de son trou et qui reçoit, figurez-vous donc, une crotte sur la tête. La taupe ressemble à s'y méprendre à Guy Carbonneau, qui a connu à peu près le même sort, n'est-ce pas...

Donc, un oeil dans le livre, l'autre sur RDS, je racontais à Zak l'enquête du mammifère fouisseur cherchant à savoir qui lui avait fait sur la tête. Quand la taupe est arrivée chez la vache, Kovalev a crucifié Tim Thomas avec un tir téléguidé par laser.

- OUI! ai-je échappé.

- On a compté? a demandé ma progéniture en levant les yeux par-dessus le livre.

- Mets-en: 2-2.

La taupe du livre a finalement trouvé qui lui avait fait sur la tête (un personnage ressemblant à Bob Gainey!). Le petit est allé se coucher.

La troisième a commencé. Là, je ne bougonnais plus. Un oeil sur le Mac, l'autre sur la télé, légèrement fébrile.

J'ai honte de le confesser, mais je n'espérais plus que le CH soit dépecé, anéanti ou pulvérisé. Vous comprenez? Je ne faisais pas la vague, mais je n'espérais plus sa défaite non plus...

Pourquoi cette volte-face?

J'y repense, 24 heures plus tard. Et, niaiseusement, piteusement, je dois faire un constat.

Ce foutu club fait partie de moi, de mon identité, de mes tripes, de ma famille.

Je l'aime malgré lui.

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Mes plus vieux souvenirs à ce club, à ce foutu club, aussi culturel que sportif. Ce club-là, c'est un peu, beaucoup, «nous».

Une télé en noir et blanc dans ma chambre qui diffuse les matches. J'imite la garnotte de Steve Shutt - numéro 22 - dans la ruelle. Le masque de Ken Dryden, dessiné aux crayons Prismacolor.

J'exagère: mon plus vieux souvenir, c'est probablement celui du petit voisin, à Chomedey, qui m'avait convaincu de goûter au truc brun sur le bout d'un bâton qu'il tenait, en m'assurant que c'était du chocolat (ce n'était pas du chocolat).

Non, le CH anime mes plus vifs souvenirs d'enfance. Tiens, mini-quiz. Finale de la Coupe Stanley, en 1979? Contre les Rangers. Facile.

Conquête en combien de matches En cinq. Facile, encore.

Le premier match? Défaite du CH. Jusqu'ici, c'est de la tarte, votre quiz...

Mais je vous parle de tripes, je vous parle d'une enfance, comme mille autres au Québec, intimement liée à ces géants en bleu-blanc-rouge qui gagnaient tout le temps: je me souviens bizarrement que ce match, ce premier match de la série de la Coupe 1979, il avait été disputé... un après-midi.

Je viens de vérifier, pour être sûr, dans les archives du New York Times: 16h, le début de ce match. J'ai vérifié mais mes tripes savaient, elles...

Je vous parle d'un club, le Canadien, qui servait aussi d'interface pour communiquer avec mon père. Comme mille autres petits Québécois, probablement, dont la communication n'était pas le premier talent du papa...

Quelque part pendant la troisième période, donc, jeudi soir, le petit s'est levé, il est venu m'espionner dans le salon. Envoye, petit cri**e, viens t'asseoir sur papa...

C'était 2-2, l'héritier en pyjama s'est affalé sur moi.

- C'est les Pingouins?

- Non, garçon. Les Bruins. Mais le chandail des Bruins ressemble à celui des Pingouins.

- Ah.

Silence, en épiant le match. Puis:

- Nous, c'est qui?

- Nous, c'est les chandails blancs.