Voici quelques observations, en vrac, à propos de l'opération Plomb durci menée par Israël à Gaza...

Un tireur d'élite israélien qui abat une femme et deux enfants alors qu'ils fuient un immeuble de Gaza évacué par Tsahal.

Des soldats qui, squattant un logement gazaoui, crachent sur les photos de la famille palestinienne temporairement évincée et écrivent des graffiti comme «Mort aux Arabes» sur les murs.

 

Des soldats israéliens qui parlent de tuer tous les gens de Gaza parce que quiconque habite Gaza est, comme chacun le sait, un terroriste.

Des rabbins qui rappellent aux soldats de Tsahal envoyés à Gaza que cette mission n'est ni militaire ni politique mais... religieuse.

Petit quiz spring-spring, maintenant. De qui viennent ces observations?

Non, elles ne viennent pas d'enquêteurs de l'ONU.

Non, elles ne viennent pas d'observateurs de Human Rights Watch ou de la Croix-Rouge.

Ni de journalistes.

Ni de citoyens de Gaza, ni d'officiels du Hamas ou de l'Autorité palestinienne.

Ces observations sont celles de soldats israéliens ayant combattu à Gaza en décembre et janvier.

 

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Danny Zamir est officier dans la réserve israélienne. Il dirige un programme de préparation prémilitaire à l'Académie Oranim. En février, à des fins pédagogiques, il a réuni des diplômés pour parler de l'opération Plomb durci, cette intervention de l'armée israélienne à Gaza pour stopper les tirs de roquettes du Hamas sur le sud d'Israël.

Les militaires ont parlé candidement, franchement, sans réserve, de ce qu'ils ont vu, pendant ces semaines de pilonnage.

Zamir, lui, a fait un compte rendu très exhaustif de la réunion pour Briza, le journal interne du programme militaire qu'il dirige.

Haaretz, le quotidien libéral israélien, a mis la main sur Briza et a publié les témoignages des soldats. BOUM! Ils ont eu l'effet d'une bombe en Israël.

Des allégations d'exactions, de saloperies et de crimes perpétrés par des soldats israéliens?

C'est généralement le fruit de la propagande des journalistes étrangers anti-israéliens.

Pas de soldats de Tsahal!

Les armées mentent. Toujours. Dans toutes les guerres, même justes. Il va falloir, un jour, s'en rendre compte. Cesser de s'en étonner.

Et, des mois ou des années après, la vérité finit par sortir.

Les exemples abondent. Guerre d'Irak, en 2003: l'armée américaine annonce le sauvetage héroïque d'une soldate blessée et capturée par l'ennemi, images nocturnes à l'appui.

Vérité: le «sauvetage» de Jessica Lynch était loin, très loin de la «réalité» du film d'action de type Il faut sauver le soldat Ryan présenté aux médias.

Avril 2004, Afghanistan: le ranger Pat Tillman meurt en combattant les talibans. Tillman était un soldat discret mais célèbre: il avait abandonné sa carrière de joueur de football dans la NFL pour servir son pays, après les attentats de 2001. L'armée américaine pleure sa mort avec effusion, soulignant son sacrifice ultime sous le feu de l'ennemi.

Vérité: Pat Tillman a été tué par accident par un de ses frères d'armes. Incident de tir ami. L'armée le savait et a maquillé cette mort «ordinaire». À des fins de relations publiques.

Pendant l'opération Plomb durci, le ministre de la Défense Ehoud Barak jurait que les soldats israéliens se comportaient de façon exemplaire à Gaza. Les porte-parole de l'armée aussi.

Vérité: des soldats israéliens se sont comportés comme des salopards à Gaza. Pas tous. Mais ils se sont comportés ainsi, apprend-on en lisant les témoignages des diplômés de l'Académie Oranim, parce que les commandants de Tsahal se fichaient des civils comme de leur première chemise.

 

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Ceux qui sont intéressés à lire les papiers de Haaretz peuvent suivre les liens publiés sur mon blogue, où une vive discussion a suivi mon billet sur ces révélations fascinantes.

Un internaute, David Gagnon, m'a reproché de souligner ces dérapages israéliens. «As-tu mis, me demande-t-il, la main sur les debriefings du Hamas? Le fait que ces témoignages soient publiés dans la presse israélienne démontre encore la supériorité morale d'Israël au Moyen-Orient.»

Pour la supériorité morale, je laisse d'autres juger. Mais pour le sarcasme concernant le Hamas, qui ne s'embarrasse pas trop de considérations éthiques quand vient le temps de se cacher parmi les civils, je suis d'accord avec M. Gagnon.

Pas sûr que les combattants du Hamas, après le pilonnage de Gaza, aient fait preuve d'autocritique, aient eu des échanges comme ces deux soldats israéliens à propos de l'étiquette quand on squatte chez des Palestiniens expulsés. Ou sur la moralité relative de frapper des civils avec des roquettes. Extrait:

Yossi: Notre commandant a suggéré que nous nettoyions les lieux, que nous ramassions nos déchets, que nous lavions les planchers. Il a suggéré de plier les couvertures utilisées et de les remettre dans le placard.

Zamir: Les unités de l'armée ne font-elles pas cela, de toute façon?

Yossi: Pas du tout. Dans la plupart des maisons, nos soldats ont laissé des graffiti, des choses du genre.

Zamir: Ça, c'est se comporter comme des animaux.

Yossi: On n'est pas censés se concentrer sur le pliage de couvertures quand on se fait tirer dessus!

Zamir: Je n'ai pas entendu dire que vous vous soyez fait tirer dessus tant que ça. Je ne veux pas me plaindre, mais quand on passe une semaine dans une maison, on ramasse son bordel.

Pas sûr, non plus, qu'un journaliste palestinien puisse publier des propos semblables, s'ils étaient tenus par des combattants du Hamas. En Israël, un journaliste peut le faire. Et il n'a pas à craindre pour ses rotules. Ou sa vie.

Sauf que je ne suis pas sûr non plus, M. Gagnon, de la pertinence d'un parallèle entre l'armée d'Israël et les miliciens du Hamas. De les mettre sur un pied d'égalité. Voulez-vous vraiment faire ça?

D'un bord, l'armée d'une (imparfaite) démocratie.

De l'autre, la milice d'un groupe obscurantiste qui croit aux Protocoles des sages de Sion.

C'est justement parce qu'Israël est censé être «moralement supérieur» à bien des acteurs du Moyen-Orient, en tant que démocratie, que les témoignages des soldats de Tsahal sont désespérants.