J'allais commencer cette chronique avec une métaphore de nerd.

Mais, bon, les métaphores de nerd au sujet de Stéphane Dion sont, je le crains, en rupture de stock.

Commençons donc par une confidence: Stéphane Dion m'inspire un peu de pitié. Ce mandat de chef libéral fut un long, long supplice. Supplice qu'il étire encore un peu plus depuis sa défaite de mardi.

Une défaite? Une raclée plutôt. Vingt-sept sièges perdus. Un Tournant vert compréhensible uniquement si on est militant de Greenpeace ou si on a un bac en maths.

 

De la pitié, donc. Dion est un accidenté de la route aux soins intensifs, intubé de partout. S'il survit, il sera gravement hypothéqué. C'est l'image qui me vient à l'esprit: Dion, politiquement, est un légume, aujourd'hui.

Au Québec, tout le monde sait bien que Stéphane Dion n'est pas un chef, pas un leader, au sens où on l'entend en politique, pour diriger un parti. Rappelez-vous les gueules d'enterrement des libéraux québécois quand il a été élu, en décembre 2006.

Ils savaient, eux, les Coderre et les Frulla, que Stéphane Dion ne «passe» pas avec l'électorat du Québec. Ils savaient que le professeur socialement gauche, que le ministre de la Clarté était invendable.

On sait désormais que M. Dion ne passe pas, tout simplement, ni à Longueuil ni à Red Deer.

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J'ai interviewé Stéphane Dion pour Les Francs Tireurs trois mois avant son élection comme chef du Parti libéral, fin 2006. Son élection comme chef, justement, tenait de la science-fiction. Ignatieff et Rae semblaient bien mieux positionnés.

Mais M. Dion ne doutait de rien. Et, au quatrième tour du vote, il s'est faufilé en douce pour coiffer les poids lourds au fil d'arrivée. Un peu comme le Canadien de Montréal en 1986...

Ce qui m'a frappé, dans cette heure passée en sa compagnie? Le malaise qu'instille Stéphane Dion dans une pièce. Le gars ne jase pas. Impossible, ou presque, d'établir un rapport. Vous savez, ces petites phrases creuses sans conséquence qui lubrifient les rapports sociaux entre étrangers?

Eh bien, Stéphane Dion ne fait pas ça, lui.

Les Anglais ont un mot pour décrire une conversation avec un type comme Stéphane Dion. Ce mot, c'est awkward. Il est quasiment intraduisible. Malaise est probablement le mot qui s'en rapproche le plus.

Tant pis pour les journalistes, vous me direz. C'est vrai. Mais comment un tel chef peut-il établir un rapport avec des militants? Avec des bénévoles? Avec des argentiers? Avec des adversaires?

Avec l'électorat?

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Finalement, quand j'arrête de penser à Stéphane Dion comme à cet accidenté de la route, je n'ai plus de pitié. Sur un plan bêtement viscéral, je suis un peu content, même.

Pour moi comme pour bien d'autres, fédéralistes ou pas, OUI ou NON, Stéphane Dion est l'homme de la Loi sur la clarté.

Qu'Ottawa ait décidé, dans le traumatisme post-30 octobre 1995, de mettre autant de bâtons juridiques que possible dans les roues des souverainistes est une chose. Que Stéphane Dion l'ait fait avec autant de mesquinerie, de condescendance et de détachement en est une autre.

C'est pour ça que Chapleau, avec son génie habituel, l'a transformé en rongeur. C'est pour ça que l'image colle encore dans l'imaginaire collectif.

Parce que M. Dion, dans ces années troubles, a tout fait pour mépriser près de 50% de l'électorat québécois, qui venait de voter OUI. Et, en même temps, bien d'autres qui ont voté NON, après bien des tergiversations, en cet automne 1995.

On ne me fera pas avaler que cette Loi sur la clarté - et la bête pugnacité avec laquelle M. Dion l'a défendue - n'a pas de lien avec son déficit d'affection au Québec.

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On ne me fera pas avaler non plus que l'anglais de Stéphane Dion n'a pas été un des facteurs de sa déroute hors du Québec.

Je suis certain que Stéphane Dion comprend très bien l'anglais, quand il le lit. Je suis convaincu qu'il l'écrit aussi bien. Mais c'est à l'oral que ça se gâche. Et, à lire certains forums et blogues après le débat des chefs en anglais, c'est l'évidence: l'accent montréalo-parisien de Stéphane Dion quand il parle anglais dérange.

C'est pour ça que M. Harper s'est empressé de mettre une grosse loupe sur l'entrevue où M. Dion butait sur une question pourtant simple à CTV.

Parce que M. Harper sait que cet accent agace, dans l'électorat.

Hors du Québec, les Anglos sont prêts à voter pour un premier ministre québécois. Je ne suis pas sûr qu'ils soient prêts à voter pour ce genre de francophone qui dit focus comme on dit fuck us.

En cela, l'ironie est suprême, non?

Méprisé au Québec à cause de sa Loi sur la clarté, Stéphane Dion a été incapable de «connecter» avec bien des Anglos du Canada à cause du manque de clarté de son anglais. Ça ne s'invente pas. Only in Canada.