S'il n'en tenait qu'à Hubert Lenoir, la nouvelle sensation de la pop québécoise, le mot « chanson » ne devrait plus exister : fini, banni, réduit en poussière, balancé aux poubelles. Selon le jeune Hubert, on ne devrait parler que de musique parce que, me confiait-il récemment, ce que les auteurs-compositeurs-interprètes font, « c'est avant tout de la musique ».

S'il fallait écouter le jeune Hubert, non seulement le mot « chanson » serait rayé de notre vocabulaire, mais il n'y aurait plus d'obligation de chanter en français pendant les grands-messes collectives, y compris à l'occasion de la fête nationale du Québec. Le jeune Hubert aurait ainsi aimé que le grand spectacle sur la place des Festivals auquel il a participé samedi dernier se termine avec Hey Jude des Beatles.

Le cas échéant, il aurait voulu que les artistes sur scène ce soir-là entonnent au moins une ou deux chansons en anglais. Visiblement, les producteurs de ce spectacle 100 % québécois francophone n'étaient pas du même avis. Et c'est tant mieux.

J'aime bien le jeune Hubert, mais je trouve qu'à ce chapitre - celui de la chanson -, il déraille complètement. Comme trop de jeunes gens de sa génération qui ont grandi dans la confiance d'une culture francophone assumée, il croit que la partie est gagnée. Il estime non seulement qu'il n'est plus nécessaire de se battre pour la chanson d'expression française, mais qu'en plus, on peut désormais ouvrir les vannes et laisser entrer le catalogue complet des chansons anglophones du siècle dernier, dont Hey Jude fait évidemment partie, et le chanter impunément à longueur d'année - et pas seulement dans les soirées de karaoké, comme cela se pratique abondamment.

Eh bien non, Hubert! Ce n'est pas une bonne idée, à moins évidemment de vouloir disparaître culturellement pour mieux se fondre dans la grande marmite musicale anglo-saxonne. À moins de se ficher éperdument de ce qui distingue et singularise la culture québécoise, éternellement menacée de se noyer dans l'océan anglophone qui l'entoure.

Mais si on tient à ce que la culture québécoise d'expression française et sa chanson soient encore là dans 100 ou même 50 ans, on n'a pas le choix. On doit demeurer vigilants. Et la meilleure façon de le faire, c'est de perpétuer la tradition qui s'est implantée depuis 40 ans chaque été, alors que la grande famille des auteurs, compositeurs, musiciens et interprètes d'ici prend d'assaut les routes pour aller chanter ses chansons en français à la grandeur du Québec.

Des festivals comme celui de Petite-Vallée, qui vient de renaître de ses cendres, littéralement, et qui célèbre ses 36 ans sous un immense chapiteau blanc, font partie de cette belle tradition qui garde la chanson d'expression française vivante et assure sa pérennité. Le ROSEQ, regroupement des diffuseurs de spectacles en région fondé en 1978, a fait un travail de défrichage remarquable en permettant à une foule d'artisans de la chanson de rayonner et de se faire entendre alors qu'ils étaient encore de purs inconnus. Et que dire du Festival d'été de Québec (FEQ), qui naissait il y a exactement 50 ans, le 28 juin 1968, un an avant Woodstock?

Depuis que le festival s'est ouvert aux grandes vedettes internationales, on a tendance à croire qu'il a délaissé la chanson québécoise. Il n'en est rien. Charlebois y a chanté une dizaine de fois, Jean-Pierre Ferland aussi. De même qu'Éric Lapointe, Jean Leloup, Marjo et Céline. Les prestations de Gilles Vigneault courent sur six décennies. Et cette année, la chanson québécoise n'y sera pas en reste avec des prestations d'Alaclair Ensemble, de 2 Frères, d'Alexandre Poulin, d'Aliocha, de Charlotte Cardin, de Patrice Michaud et même d'Hubert Lenoir. Quant à Klô Pelgag, elle aussi sera de la partie au FEQ, avant de s'envoler pour Petite-Vallée, Tadoussac, Val-David, Val-d'Or et Mont-Laurier, pour ne nommer que ceux-là.

Tout cela pour dire que même si Hubert Lenoir n'aime pas le mot « chanson », la réalité que ce mot sous-tend suscite encore de l'intérêt à la grandeur du Québec dans les cafés, les salles et sous les chapiteaux. Et le plus beau, c'est que cet intérêt s'est maintenu au fil des années, des changements de régime et des changements sociaux.

Il se maintient encore aujourd'hui malgré le peu d'espace et de temps d'antenne que les radios d'ici consacrent aux chansons québécoises. Bref, si ça continue de cette façon, il y a de fortes chances qu'on chante encore en français au Québec dans 50 ans. À ce moment-là, Hubert Lenoir aura 75 ans. Si je me fie à ceux qui l'ont inspiré, comme Claude Dubois ou Jean-Pierre Ferland, à 75 ans Hubert devrait encore être en mesure de la chanter, sa chanson.

Sur ce, chers amis lecteurs, je pars sur la route des chansons et surtout celle des vacances. Je vous souhaite un merveilleux été. On se retrouve en août.