Lancer un projet de politique culturelle un 27 juin n'est pas anodin. Le faire alors que la Chambre est ajournée, que les écoles sont fermées pour l'été, que la population a l'esprit aux vacances et que les salles de rédaction tournent au ralenti, cela indique deux choses : soit on profite du fait que tout le monde regarde ailleurs pour noyer le poisson, soit on cherche à nous en passer une petite vite. Dans les circonstances, j'aurais tendance à pencher pour cette dernière hypothèse puisque la convocation pour le dévoilement dudit projet a été faite à la dernière minute, que la plupart des journalistes du culturel, du moins ici à La Presse, n'ont pas été prévenus personnellement.

Mais passons, puisque le projet est désormais en ligne pour consultation, que tous peuvent y avoir accès et s'en faire une idée en attendant le forum national des 5 et 6 septembre qui permettra aux acteurs du milieu culturel de réagir.

Comme je ne voudrais pas vous endormir avec le verbiage de ce document de 50 pages, pavé comme l'enfer de voeux pieux et de bonnes intentions, je m'en tiendrai à ses grandes lignes. D'abord, le titre du projet : Partout, la culture. Le titre, lui non plus, n'est pas anodin. 

Recourir au mot « partout », qui est un peu le dieu des adverbes, c'est dire qu'on souhaite aller dans tous les sens et dans toutes les directions. C'est appeler l'universel, le planétaire. Qui pourrait être contre le fait que la culture se retrouve partout dans nos vies et dans toutes les strates de la société ? À l'école comme au théâtre, à l'hôpital comme à l'épicerie, au musée comme à la quincaillerie ?

Sauf que, dans les faits, le partout du ministre de la Culture et des Communications, Luc Fortin, n'est pas si universel ni doué du don d'ubiquité. Il est avant tout régional. Le ministre veut remettre de l'argent pour la culture dans les régions, histoire d'occuper le territoire. L'idée ne serait pas mauvaise en soi, si l'intention ne cachait pas la pointe d'une stratégie électoraliste, mais passons.

La culture, c'est comme la confiture, il faut l'étendre partout et, pourquoi pas, dans toutes les régions qui méritent des bibliothèques et des salles de concert, pourvu qu'une population suffisante les fasse vivre.

Une autre priorité du ministre et de sa politique culturelle, c'est l'amélioration des conditions de vie des artistes, ces mêmes artistes qui ont levé le poing et déchiré leur chemise sur la place publique récemment. Ces derniers ont reproché au ministre son mépris et son ignorance de la condition d'artiste et dénoncé le fait qu'il n'a accordé que 4 millions au budget du CALQ alors que le milieu réclamait 10 fois plus.

À la lumière de la colère des artistes, il est difficile de lire les paragraphes qui concernent l'amélioration de leurs conditions de vie et d'y croire.

D'ailleurs, pour parler franchement, il est difficile de lire ce projet de 50 pages et de croire que tout ce qu'il promet va se réaliser. Tout comme il est difficile de parcourir ses paragraphes sans mourir d'ennui devant les formules creuses et l'insupportable rectitude politique qui s'en dégage. Le mot « diversité » y revient je ne sais plus combien de fois. La société québécoise y est décrite comme « une société francophone, démocratique, pluraliste, riche de son caractère distinct », mais qui en même temps « reconnaît l'apport des nations autochtones, de sa communauté d'expression anglaise et des personnes des minorités ethnoculturelles, qu'elles soient immigrantes ou nées au Québec. » Amen.

Va pour l'inclusion et la diversité, des notions qui n'étaient pas à la mode ni incluses en 1992 lors de la politique culturelle du gouvernement Bourassa. Cette actualisation était nécessaire, et je la salue. Ce que je salue moins, c'est la phrase qui suit l'actualisation et qui débute par : « Autrement dit, la diversité qui a contribué à établir le caractère unique et original de la culture québécoise demeure un atout de premier plan dans une perspective d'enrichissement collectif. »

Corrigez-moi si je me trompe, mais la culture québécoise ne s'est pas établie ni construite grâce à la diversité. 

Elle s'est bâtie dans la plus pure homogénéité de l'époque avec les Michel Tremblay, les Marcel Dubé, les Gilles Vigneault, les Leclerc, les Léveillée, les Deschamps et les Réjean Ducharme, pour ne nommer que ceux-là. Et s'il est vrai que depuis, la culture d'ici s'est ouverte et enrichie avec les voix de Dany Laferrière, de Kim Thúy ou de Wajdi Mouawad, le ministre ne peut nier certaines vérités historiques et faire comme si le passé n'avait jamais existé.

Tout le monde est pour la vertu et tout le monde est pour l'inclusion, mais il y a des limites à vouloir se montrer plus catholiques que le pape et que la Vierge Marie.

Ces choses étant dites, on ne peut pas reprocher au rédacteur de ce projet d'avoir exclu qui que ce soit. On a insisté pour inclure tout le monde, y compris les peuples autochtones à qui on veut faire jouer un rôle de premier plan. Bravo. Reste que pour l'instant, cette politique n'est qu'un projet et ses promesses ne sont que des mots. En principe, en septembre, après la consultation publique, le gouvernement passera de la parole aux actes et concrétisera ses engagements. Autant dire que le seul espoir en ce moment, c'est que le gouvernement Couillard fasse de la culture une réelle priorité, et pas seulement un voeu pieux perdu entre partout et nulle part.