Deux majestueuses colonnes blanches encadrent la porte en fer forgé du manoir de style néocolonial espagnol. Une Rolls Royce ronronne dans la cour intérieure cintrée d'une haie de 20 pieds taillée au scalpel. Difficile de croire que la propriétaire des lieux est une activiste politique, et pourtant... Nous sommes chez Toni Holt Kramer, millionnaire de Palm Beach, ex-star d'une émission à potins recyclée en mondaine et en cofondatrice des Trumpettes, ce mouvement informel qui regroupe une centaine de femmes fortunées pour qui le président est un dieu, sinon le sauveur des États-Unis d'Amérique.

À 13 minutes de route du manoir de Toni, un drapeau américain de la taille d'un terrain de football flotte au-dessus des bâtiments de Mar-a-Lago, le club privé de Donald Trump, dont les frais d'adhésion ont doublé et sont maintenant de 200 000$ par nouveau membre.

Une domestique mexicaine m'ouvre la porte et m'invite à m'asseoir sur le divan en brocart doré au milieu d'un salon tape-à-l'oeil où les dorures des cadres rivalisent d'éclat avec les chandeliers, les faux Renoir, les récamiers en léopard et l'effigie en carton grandeur nature de Donald Trump qui m'observe depuis un boudoir plus loin.

Une voix flûtée me parvient du sommet de l'escalier en hémicycle. Toni, en gaine et sous-vêtements, s'excuse de son retard et m'invite à faire connaissance avec Terry Ebert Mendozza, cofondatrice des Trumpettes, veuve d'un magnat de l'immobilier, remariée à Joseph Mendozza.

Terry et Toni étaient en croisière sur la Méditerranée lorsque, le 16 juin 2015, Donald Trump a annoncé à Des Moines en Iowa qu'il se lançait officiellement dans la course à la présidence. Il n'en fallait pas plus pour que Terry et Toni décident de l'appuyer.

« On s'est dit qu'il avait besoin de l'aide d'un groupe de femmes d'affaires professionnelles qui s'identifiaient à lui et à ses idées », lance Terry, ses pommettes proéminentes rougies par la chaleur.

Toni finit par s'amener dans le salon, moulée dans une robe fourreau crème. Elle est lourdement maquillée, violemment liftée, son visage auréolé d'une crinière blonde dopée au fixatif. Elle est suivie de peu par Janet Levy, la plus jeune du groupe, petite blonde platine de 63 ans, moins chromée que ses consoeurs sauf pour la montre Cartier à son poignet. Ne manque que Susie Goldsmith pour que le quatuor fondateur soit complet. Ce sont en effet ces quatre femmes qui, lors d'une soirée pour la défense des droits des animaux dans un hôtel de Beverly Hills, ont décidé de passer de la parole aux actes. Quel nom on se donne ? a demandé Toni. Et si on s'appelait les Trumpettes ? a répondu Janet. Le nom fut adopté à l'unanimité, et on y a ajouté USA pour faire plus authentique.

De l'eau dans le vin

Par la force de leur réseau et de leur site web, les Trumpettes ont commencé à faire parler d'elles dans les médias américains (Politico, ABC News) et plusieurs médias européens, tout particulièrement en France où, comme le rapportait mon collègue Mario Girard, elles ont fait sensation à l'émission Le Quotidien sur TF1.

Sensation au sens péjoratif. Les Français se sont surtout foutus de leur gueule, les présentant comme de grotesques caricatures de droite. Les Trumpettes n'ont pas aidé leur cause en proférant des énormités à la caméra sur leur sauveur, les dangers du socialisme, le poison islamiste et le fric qui rend intelligent. Mais ça, c'était il y a six mois. 

À la mi-avril, lors de notre rencontre, les Trumpettes avaient nettoyé leur discours et mis de l'eau dans leur vin blanc. Au lieu d'affirmer que tous les musulmans sont des terroristes potentiels, elles s'en sont prises aux extrémistes islamistes. « Surtout, ne blâmez pas les musulmans, ils n'y sont pour rien », a plaidé Terry Mendozza, ajoutant avec émotion qu'une de ses meilleures amies est musulmane. Un heureux changement par rapport au reportage de TF1 où une Trumpette clamait qu'elle n'était pas raciste puisque son vendeur de glace était musulman.

« Il faut que les médias arrêtent de dire que nous sommes des Blanches riches et mondaines sans rien dans le cerveau. » - Toni

Janet Levy en rajoute : « Notre appui à Trump est sérieux. Nous le faisons parce que nous croyons sérieusement à ses idées et que nous avons à coeur la sécurité de notre pays. C'est très réducteur de parler de notre richesse. Nous avons toutes réussi en affaires. Nous sommes reconnaissantes de nos succès bien plus que de nos millions, car quoi qu'on en pense, l'argent n'est pas ce qui nous définit. »

Venant d'une femme qui porte une Cartier pour faire du vélo, on peut en douter. Reste que Janet Levy, la plus politisée du trio, ne correspond pas entièrement au cliché. Très active à titre de philanthrope dans le milieu de la santé et des services sociaux, elle se fait un devoir de recueillir chaque année des fonds pour les sans-abri et les familles dans le besoin. Et il lui arrive même de voter démocrate.

« Je vote toujours pour la personne et non le parti - et oui, j'ai voté pour Hillary », avoue-t-elle.

Toni Holt Kramer, pour sa part, a organisé une collecte de fonds pour Hillary Clinton lors de sa campagne en 2007. « Hillary et moi, on s'entendait à merveille. J'ai souvent été invitée à des dîners chez elle. À l'époque, je n'étais pas très politisée. Et même si j'adhérais aux idées des républicains, je trouvais que les démocrates avaient un meilleur sens de l'humour. » Pourquoi alors changer de camp ? « À cause des gauchistes dans l'entourage d'Hillary qui voulaient mettre tout le monde sur l'aide sociale. J'aime bien Hillary, mais j'aime mieux mon pays. »

Quant à Terry Mendozza, ses pommettes déjà rouges s'enflamment de honte lorsqu'elle avoue qu'en 2008, vivant encore à Chicago, elle a voté pour Obama. Ses deux amies lui lancent un regard horrifié. « Tu n'as pas fait ça ! », s'écrie Toni. Terry explique qu'elle a commis cette infamie au nom du changement. « Mais évidemment, il n'a rien changé, rien fait sinon empirer les choses. Cela n'a rien à voir avec la couleur de sa peau. Colin Powell aurait fait un excellent président, Condoleezza Rice aussi. »

Janet saute dans la mêlée : « Obama a divisé le pays. Avec lui, c'est devenu "Black Lives Matter" plutôt que "American Lives Matter". Si seulement il avait été foutu d'admettre une seule fois qu'il était moitié blanc, moitié noir, mais que le plus important c'était d'être entièrement Américain, j'aurais du respect pour lui. Mais il ne l'a jamais fait. »

La hargne et l'hostilité des Trumpettes à l'égard d'Obama sont sans fond. J'ai beau tenter de changer de sujet, elles reviennent à la charge, l'accusant d'avoir choisi de vivre à Washington pour maintenir un gouvernement fantôme qui fait tout pour nuire à leur sauveur.

Un président «formidable»

Or maintenant que leur sauveur a été élu, les Trumpettes vont-elles prendre leur retraite ? « Jamais de la vie ! jure Toni. Nous avons encore du pain sur la planche. Nous voulons nous occuper d'éducation. Nous avons appuyé la candidature de Betsy DeVos comme secrétaire à l'Éducation et nous sommes ravies de sa nomination. »

Vérification faite, la nouvelle secrétaire à l'Éducation est fille de milliardaire. Elle est issue de la droite chrétienne. Elle est pro-école privée et n'a aucune expérience dans le domaine de l'éducation. Mais elle a un immense domaine à Vero Beach, à seulement une heure et demie de Mar-a-Lago.

Les Trumpettes n'approuvent pas seulement la nomination de Betsy DeVos. Elles approuvent tout, absolument tout de la présidence de Trump.

Chaotiques, ses 100 premiers jours ? « Du tout. Je n'ai jamais vu un président faire autant en si peu de temps », estime Janet. Ses liens troubles avec la Russie ne les inquiètent pas. Au contraire.

Elles souhaitent une amitié Russie - États-Unis. Poutine ? Un homme brillant. Le mur à la frontière mexicaine ? « Mais nous avons toutes des murs chez nous pour notre sécurité et notre intimité, pas parce que nous détestons nos voisins ! », fulmine Janet.

Les armes à feu ? « Nous en voulons pour autant qu'elles se retrouvent entre de bonnes mains. Les armes à feu, c'est pour les honnêtes gens », plaide Toni qui avoue se balader avec son pistolet.

« Notre président est formidable. Il n'abandonne jamais. Il ne perd jamais et il finit toujours par gagner. Vous savez, la dernière chose que je croyais devenir un jour, c'est une activiste politique, mais je n'ai pas eu le choix face à l'état déplorable du pays. Maintenant Dieu est de retour. On a le droit de prononcer son nom, surtout quand on prête allégeance au drapeau américain, une pratique qui avait disparu et qui revient », jubile Toni.

Les Trumpettes ont beau avoir mis de l'eau dans leur vin blanc, elles récitent Trump dans le texte. Je les quitte, la tête lourde. Dehors, la Rolls Royce fraîchement astiquée attend que la Trumpette en chef y prenne place. En entendant son doux ronron, je me dis que nous vivons à une époque fort étrange et que les activistes politiques ne sont vraiment plus ce qu'elles étaient.

Photo Nathalie Petrowski, La Presse 

Les Trumpettes Toni Holt Kramer, Terry Ebert Mendozza et Janet Levy