Anaïs Barbeau-Lavalette n'est pas seulement une cinéaste de talent et une écrivaine récemment couronnée pour son roman La femme qui fuit. C'est une jeune femme impétueuse, engagée et toujours prête à aider les pauvres et les miséreux de ce monde; à les aider concrètement, généreusement et sans se défiler.

Mise en contact avec des réfugiés syriens alors qu'elle était porte-parole de la World Press Photo, Anaïs a décidé, avec son amoureux, le comédien Émile Proulx-Cloutier, d'apporter sa contribution et de parrainer une famille syrienne. Pas seulement avec l'aide d'Émile, mais avec l'appui aussi de sa famille élargie, la méchante meute des Cloutier, Proulx, Barbeau, Lavalette, surnommée pour l'occasion les Proutier-Lavabeau.

D'entrée de jeu, la bande à Anaïs a choisi de parrainer une famille dont personne ne voulait, une famille qui avait peu de chances de trouver des parrains : soit une famille pauvre, musulmane, avec beaucoup d'enfants à charge. «Autant dire qu'il a fallu insister beaucoup, raconte Anaïs. On a senti un frein très fort dès qu'on a dit qu'on voulait une famille musulmane.»

Le père Brisson, de la Mission des pères jésuites, qui s'occupe du dossier de parrainage des Proutier-Lavabeau, n'a pas rappelé pour confirmer la version d'Anaïs. Mais on comprend aisément pourquoi le choix d'une famille musulmane n'a pas fait immédiatement l'unanimité, les pères jésuites étant surtout en contact avec les familles chrétiennes. Reste qu'à force d'insister, Anaïs et sa bande ont obtenu gain de cause. Une famille en situation particulièrement précaire leur a été assignée il y a un mois : les jeunes parents et leurs sept enfants, dont des triplés, ont fui leur village à feu et à sang en Syrie et vivent de manière précaire, dans un logement d'une pièce en Turquie loué par un autre réfugié syrien. Selon Anaïs, la famille est tellement mal en point qu'elle est sur la liste du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

«Nous, on est prêts à les accueillir demain, m'a dit Anaïs. On a commencé à récolter des meubles. On leur cherche un appartement, et nos bras leur sont grands ouverts, mais tout est bloqué, y a rien qui arrive.»

«Les gouvernements se renvoient la balle et, pendant ce temps-là, cette famille s'enfonce dans sa détresse et nous dans notre impuissance, tout cela à cause de retards bureaucratiques grotesques.» - Anaïs Barbeau-Lavalette

Anaïs a appris hier matin qu'elle devra attendre deux ans avant de pouvoir ouvrir ses bras et accueillir sa famille de réfugiés, et ça l'a mise en beau maudit. «C'est absurde, ne cesse-t-elle de répéter, on ne sait pas par où passer pour accélérer le processus. Il y a de notre côté cette porte ouverte et, de l'autre, une famille et des enfants qui souffrent inutilement alors qu'ils pourraient être ici avec nous, et tout cela va durer encore deux ans. C'est absurde.»

Monique Proulx, soeur de la comédienne Danielle Proulx et tante par alliance d'Anaïs, comprend l'impatience de cette dernière. Mais elle comprend aussi que la machine ne peut pas aller plus vite que la musique. Retraitée du ministère de l'Immigration, Monique Proulx m'explique qu'il y a énormément de gens qui ont souscrit à des demandes de parrainages privés et que cette augmentation a ralenti un processus qui était déjà lent en partant. Elle ajoute que les volumes d'admission d'immigration dite humanitaire de 4000 personnes ont été atteints et dépassés au Québec en 2016 et que, par conséquent, il faudra attendre à 2017 avant de remettre le compteur à zéro. «Il aurait sans doute fallu que le gouvernement augmente son volume d'admission d'immigration humanitaire, mais il ne l'a pas fait. Il devait avoir ses raisons», a-t-elle ajouté.

Monique Proulx ne veut pas jeter la pierre aux gouvernements, mais elle admet toutefois que le manque d'information aux parrains est un réel problème. «Une fois la demande faite et la famille assignée, les parrains devraient savoir quand cette famille va arriver. C'est la moindre des choses. On entend parler de toutes sortes de problèmes causés par ce manque d'information, comme cette femme qui non seulement envoyait régulièrement de l'argent à une famille de réfugiés syriens qui n'arrivait pas, mais qui payait en pure perte le loyer d'un appartement qui leur était réservé ici.»

La directrice générale de la SODEC, Monique Simard, sa soeur Suzanne ainsi que la productrice Joanne Forgues font partie d'un groupe plus restreint de cinq parrains. Le groupe a entrepris ses démarches en avril dernier auprès d'un organisme montréalais qui s'occupe des réfugiés. Leur demande de parrainage collectif a été acheminée au ministère de l'Immigration du Québec. Ce groupe-là, comme la bande à Anaïs, voulait lui aussi privilégier une famille avec peu de chances de gagner à la loterie du parrainage. Leur choix s'est arrêté sur une veuve syrienne et musulmane, mère de trois grands garçons de 16, 18 et 20 ans. Depuis la mort du père, la famille est réfugiée en Turquie et était menacée d'y croupir longtemps dans des conditions loin d'être idéales.

Le dossier du groupe des cinq a avancé rondement. L'enquête sur les parrains s'est vite réglée. Idem du côté de la famille syrienne, où les examens médicaux et l'enquête criminelle ont été terminés en quelques mois. «On les attendait pour l'été, a raconté Suzanne Simard. Finalement, l'été est passé sans qu'ils arrivent. Puis on pensait qu'ils arriveraient pour Noël, mais ça ne sera pas le cas. On nous a dit que c'était à cause des quotas québécois qui avaient été atteints, mais quand on a communiqué avec le bureau de notre députée [Hélène David], on nous a dit que c'est Ottawa qui retardait le processus. On est découragés et tannés d'attendre, mais on est inquiets aussi. Et puis quand on pense à cette famille à qui on a dit oui à une nouvelle vie, on se dit que c'est inhumain de leur faire ça.»

Deux histoires parmi des centaines d'autres, et toujours la même générosité freinée dans son élan par des bureaucraties débordées, parfois désorganisées.

Anaïs n'est pas au bout de ses peines, même si un jour, dans un an ou deux, sa générosité et celle des siens seront récompensées par l'arrivée de ses protégés. En attendant, Anaïs va devoir apprendre une chose rare en ce bas monde : la patience.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Anaïs Barbeau-Lavalette