Il y a plusieurs façons de prendre des risques dans la vie. On peut prendre le risque de sauter dans le vide sans savoir si le parachute va s'ouvrir ou non. On peut risquer sa vie pour sauver celle des autres. On peut prendre des risques financiers, politiques, sociaux, littéraires, culinaires ou environnementaux.

En télé, le risque est d'abord créatif et il peut mener à des succès extraordinaires comme à des échecs retentissants et, du même coup, enrichir les uns ou leur faire carrément perdre leur chemise.

C'est un peu de tout cela qu'il est question dans le colloque Le risque en séries qui s'est ouvert mardi à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Jusqu'au 17 mars, on y explorera la notion de risque dans la conception, l'écriture et la production de séries télé, d'ici comme d'ailleurs.

Autant dire que le thème de cette rencontre internationale organisée conjointement par l'École des médias de l'UQAM et la SARTEC est riche et porteur. Mais surtout, il tombe à point nommé.

Car l'heure n'est pas précisément au risque dans le paysage télévisuel québécois. Notamment parce que pour prendre des risques créatifs (et forcément financiers) en télé, il faut avoir les reins solides et les coudées franches. Il faut aussi être en santé financièrement, ce qui est loin d'être le cas de la télé québécoise.

Pas encore complètement remise d'une décennie de coupes à la sauce Stephen Harper, cette télé est aujourd'hui menacée par la popularité grandissante de services en ligne comme Netflix ou Shomi, qui produisent des séries audacieuses à la pelle, dictées par le désir de se distinguer plutôt que le besoin de plaire aux annonceurs.

En même temps, le numérique ne mène pas tout dans une société distincte comme la société québécoise, où l'auditoire captif continue malgré tout de communier en masse aux grands rendez-vous d'émissions comme La voix ou de séries comme Unité 9 et Les pays d'en haut.

Reste que ces grands succès ont aussi installé une mentalité un brin épicière chez les diffuseurs, les poussant à rechercher la cote d'écoute à tout prix, et surtout à n'importe quel (bas) prix. Pour le risque, l'aventure, l'audace, la nouveauté, il faudra repasser.

On l'a dit et répété, s'il n'y avait pas Radio-Canada pour diffuser et soutenir financièrement des projets atypiques et intéressants comme Les Bougon, Minuit le soir, 19-2 ou Série noire, le risque télévisuel au Québec disparaîtrait à la faveur d'un consensus mou de séries qui tiennent plus du téléroman et même du roman-savon que d'oeuvres de fiction fortes.

Or, on a la nette impression que depuis quelques années, même à Radio-Canada, le risque est en train d'être laminé ou alors tassé dans une case horaire de la mort.

Diffuser Série noire, série délicieusement déjantée sur deux dangereux et intrépides scénaristes, un vendredi soir alors que l'habitude d'écoute de séries n'a jamais existé dans cette case, ce n'est pas encourager le risque. C'est le plomber.

Ballotter une série originale et étonnante comme Le clan d'une heure de faible écoute à une chaîne confidentielle à une plateforme numérique, en mêlant tout le monde, n'est pas non plus la meilleure façon de donner envie aux téléspectateurs de regarder autre chose que des dames de coeur qui boivent du vin en se morfondant.

N'empêche. Compte tenu de leurs contraintes de production et de leur petit marché, les séries québécoises réussissent quand même à tirer leur épingle du jeu. Elles le font grâce au talent et à l'ingéniosité de leurs auteurs et à la débrouillardise de leurs équipes qui arrivent à faire des miracles avec des moyens extraordinairement limités.

En attendant que les choses changent (ou pas), la tenue d'une rencontre internationale avec des invités de marque comme le scénariste et producteur des deux premières saisons de la série Lost, la productrice de la série Borgen et le scénariste Jeppe Gjervig Gram, qui vient présenter Follow the Money, la série danoise de l'heure, vont permettre de sortir de notre nombril télévisuel et de mesurer l'influence du risque dans les autres contrées.

Quant aux producteurs et artisans d'ici, le fait qu'ils soient invités à réfléchir à la notion de risque pendant deux jours est très sain. Même que ça risque de leur donner des idées ou de leur faire comprendre plus que jamais le vieil adage: qui ne risque rien n'a rien.