René Angélil était un éternel optimiste qui croyait que tout finirait par s'arranger. C'était d'ailleurs sa devise : tout va bien aller, ne vous inquiétez pas.

Trop intelligent pour savoir qu'il n'était pas immortel, j'imagine que René Angélil s'accrochait malgré tout à un espoir fou: l'espoir qu'il retrouverait la voix, qu'il déjouerait la maladie, qu'il échapperait à la mort.

Il devait savoir au fin fond de lui-même que cette idée n'avait aucun sens, mais une part de lui, la part de dieu ou la part du diable, celle qui avait une foi inébranlable en tout, a dû croire jusqu'au bout et jusqu'à la fin qu'il survivrait.

René Angélil a parfois perdu dans la vie, mais la plupart du temps, il a gagné. Gagné avec éclat, avec fracas. Gagné le gros lot en presque tout. Gagné professionnellement comme sur le plan privé et familial. Gagné plus de millions qu'il ne savait en dépenser. Gagné le respect, l'admiration, la consécration de ses pairs, de ses amis, de la planète showbiz et du demi-monde des joueurs invétérés.

Il vivait à un train d'enfer une vie intense qui aurait dû avoir raison de sa santé il y a longtemps. Pourtant, ni une première crise cardiaque ni un cancer de la gorge n'ont freiné ses ardeurs ou ébranlé son édifice. La rémission de son cancer a duré 15 ans: 15 longues et fructueuses années. Ce n'est pas rien.

Que reste-t-il de lui maintenant qu'il nous a quittés ? Il reste six beaux enfants et on ne sait plus combien de petits-enfants. Il reste une chanteuse, son chef-d'oeuvre, écrivait Georges-Hébert Germain dans Le joueur: un chef-d'oeuvre en effet, commencé en brouillon informe avec très peu d'atouts dans son jeu, sauf sa voix d'or.

Pour le reste, Céline Dion était une parmi un million, et encore.

Elle n'avait pas la beauté, la grâce, la culture ou l'instruction qui auraient pu lui donner une longueur d'avance sur les autres chanteuses. Elle n'avait que sa voix et sa volonté de fer. Il fallait être fou ou désespéré pour tout miser sur elle. René Angélil était sans doute un peu des deux.

Mais c'est dans ce brouillon informe devenu chef-d'oeuvre que réside le plus précieux héritage de René Angélil, à mes yeux.

On pourra épiloguer pendant des heures sur l'extraordinaire gérant et architecte de carrière que fut René Angélil, savant mélange de ruse, de roublardise, de charme, de séduction, mais aussi de brutalité intimidante et de volonté tyrannique.

Car ce n'est pas vrai que René Angélil a accompli tout ce qu'il a accompli en étant doux comme un agneau, poli, courtois et bon joueur. C'était un guerrier, un control freak, un rancunier qui pratiquait l'intimidation pour arriver à ses fins et qui pouvait être méchant, cassant, blessant.

Mais ce que je retiens de lui, aujourd'hui, c'est son immense faculté de rêver en couleurs et d'avoir une foi inébranlable dans ce qu'il entreprenait malgré les obstacles, les échecs, les circonstances atténuantes ou aggravantes.

Ce que je retiens, c'est la force et la folie qu'il a eues de se dresser contre le défaitisme de la société québécoise et d'oser croire que Céline Dion deviendrait la plus grande chanteuse du monde. À force d'y croire, il a fini par donner corps à l'impossible. Il a fini par atteindre l'inaccessible étoile, cet astre brillant qui n'a cessé de paver sa route vers la réussite.

Sa vie avant la maladie a été longue, prospère, excitante et remplie de victoires. Puis, il a été confronté à la plus grande épreuve de sa vie. Tous les jours, pendant d'interminables mois, il s'est battu, sourd, sans voix, le corps plombé par la chimio, refusant obstinément la défaite.

Il s'est battu avec l'énergie du désespoir et il a perdu. La vie l'a quitté comme elle finira par nous quitter tous. Il laisse un grand vide dans la vie de Céline, de ses enfants et de ses millions d'amis. Mais qu'on ne s'inquiète pas. À l'heure qu'il est, René est probablement déjà en train de mettre au point le premier spectacle d'Elvis et de Sinatra, au paradis.