De Singapour à Saint-Pétersbourg, de San Francisco à São Paulo, de Montréal à Montevideo, nous voilà désormais tous unis, tous membres de la même nation: la nation Netflix. C'est du moins le souhait énoncé par Reed Hastings, cofondateur et président de Netflix, cette semaine à la grande foire électronique de Vegas, le Consumer Electronics Show.

M. Hastings y a salué la naissance du premier réseau global de télé - le sien évidemment -, dont le service de vidéo en ligne est désormais présent dans 190 pays, accessible en une vingtaine de langues, dont l'arabe, le chinois et le coréen, et consommé par plus de 70 millions d'abonnés, un nombre qui pourrait atteindre les 150 millions en 2020, selon certains pronostics.

Il ne manque au bonheur de M. Hastings que la conquête de la Chine, laquelle n'est pas gagnée, et celle de pays récalcitrants comme la Crimée, la Corée du Nord et la Syrie, tous visés par des restrictions imposées par le gouvernement américain.

Petite parenthèse: je vois mal comment quiconque en ce moment en Syrie aurait le temps ou le loisir de se taper une série originale de Netflix entre deux bombardements, mais c'est un autre sujet.

Revenons à cette fabuleuse invention lancée en 1997 comme un vulgaire service de DVD envoyés par courrier et qui frôlait à tout bout de champ la faillite. En 2000, les choses allaient d'ailleurs si mal que Reed Hastings a supplié la chaîne Blockbuster de venir à son secours et d'acheter des actions. On connaît la suite. Blockbuster a envoyé promener le président de Netflix qui s'est bien vengé depuis, puisque Blockbuster n'existe plus et que Netflix connaît un succès fulgurant qui ne se dément plus.

Même si je persiste à croire que Netflix devrait payer des redevances aux pays qu'il «colonise» virtuellement, même si je salue la crise piquée par Xavier Dolan cette semaine à cause de la version techniquement tronquée de Mommy que Netflix UK a présentée avant de s'en excuser publiquement, j'avoue que je suis béate d'admiration devant cette invention diabolique qu'est Netflix: diabolique et révolutionnaire, dois-je ajouter, car, à cause de Netflix, nous ne regarderons plus jamais, jamais la télévision comme avant.

Que l'on soit abonné ou non à ce service de vidéo en ligne, que l'on peut consommer sur son ordinateur, sa tablette ou sa télé, ses effets se font sentir partout, y compris chez nous.

Tou.tv a vu le jour en 2010, trois ans après que Netflix eut pris d'assaut le web avec ses diffusions en lecture continue. Idem pour Illicoweb.tv et tous les services de vidéo sur demande chez nous qui, pour l'instant, ne font pas le poids devant la programmation de Netflix, se contentant trop souvent d'en être de pâles copies sans moyens.

Or, Netflix n'a copié rien ni personne. Il a créé un modèle unique qu'il ne cesse d'améliorer.

La grande force de Netflix, c'est précisément cela: sa capacité à se réinventer, pas quotidiennement, mais presque. Et en ce moment, sa grande réinvention passe par la production maison de séries et de films.

Depuis 2013, année où Netflix a lancé House of Cards, sa toute première série originale, son appétit pour la production maison n'a cessé de grandir.

En 2016 seulement, Netflix promet d'offrir à ses abonnés une trentaine de nouvelles séries maison et 20 films originaux, y compris War Machine, le prochain film de Brad Pitt que Netflix a acheté pour 60 millions.

D'ailleurs, ce n'est plus un secret pour personne: en 2016, Netflix prévoit consacrer 5 milliards à sa programmation faite d'acquisitions et de productions originales. Vous avez bien lu. Cinq milliards! C'est plus que les budgets de programmation combinés de tous les grands réseaux de télé américains, y compris la chaîne HBO, autrefois perçue comme un modèle d'audace et qui s'est fait voler sa recette par Netflix.

J'aimerais pouvoir dire que pendant les vacances au chalet, je n'ai pas regardé Netflix. Ou que si je l'ai syntonisé, je n'y ai rien trouvé. Mais ce serait mentir. J'y ai vu l'émission spéciale de Noël assez déjantée merci de Sofia Coppola avec Bill Murray. J'y ai découvert une flopée de bons documentaires dont je n'aurais pas eu connaissance sans Netflix et auxquels je n'aurais jamais eu accès autrement. J'y ai déniché un vieux film de Todd Haynes (Velvet Goldmine) et une foule de petits films indépendants américains ou étrangers, certains nuls, d'autres franchement bons.

Des reproches? Oui. Ils concernent les trop grandes variations de programmation d'un pays à l'autre et ces verrouillages géographiques qui dressent des frontières là où il ne devrait pas y en avoir. Pour le reste, j'aurais sans doute mieux aimé faire partie d'une autre nation que celle de Netflix. Mais maintenant qu'elle est là, à portée de main, accessible n'importe quand, et que son tarif de base (7,99$ par mois) demeure raisonnable, que voulez-vous, j'en profite.