C'était un film tout indiqué pour Charlie Hebdo. Un film fait sur mesure pour Charb, le rédacteur en chef. C'est d'ailleurs lui qui a proposé à son équipe de s'associer à la sortie en France du film Bonté divine, une grinçante comédie serbo-croate anticléricale.

Le film, dont le titre original était Les enfants du prêtre, raconte l'arrivée d'un jeune prêtre dans une petite île des Balkans où la natalité est en chute libre. Pour la stimuler, il entreprend avec la complicité d'un vendeur de condoms de percer tous les condoms en vente sur le marché, puis, avec la complicité d'un pharmacien xénophobe, de remplacer les pilules contraceptives par des bonbons. Le résultat, on le devine, sera désastreux pour une foule de couples accidentels qui deviendront parents malgré eux.

Le film, sorti chez nous vendredi, a fait un tabac en Croatie (158 000 entrées, du jamais vu) et dans une trentaine de pays.

En le voyant, Charb a craqué. Une entente de partenariat a été signée entre Charlie Hebdo et le distributeur Wide.

Charb et ses amis allaient évidemment assister à la première parisienne. Peut-être même qu'ils se seraient fait un plaisir d'offrir des préservatifs aux spectateurs sortant de la salle à la fin du film. Et puis est arrivé le 7 janvier 2015... Et tout a basculé pour Charb et onze de ses camarades, abattus froidement par des terroristes islamistes.

Affiches refusées

Avant de quitter cette terre, Charb a quand même eu le temps de signer trois illustrations pour Bonté divine. On en retrouve une nommément dans le petit coin à droite sur l'affiche française du film. Mais surtout, avant de disparaître, l'anticlérical joyeux qu'il était a goûté une dernière fois au puritanisme catholique et aux effets de censure qu'il provoque.

Dans les semaines qui ont précédé le lancement en France, une première motion de censure a en effet visé l'affiche où l'on voyait au premier plan un prêtre en soutane tenant un préservatif déroulé et menacé d'être percé par une aiguille. Sans doute dans le but de ménager les susceptibilités des autorités catholiques françaises, les principaux réseaux d'affichage en France ont tous refusé cette première affiche. Peu importe si une affiche identique avait déjà tapissé les murs et les vitrines de plusieurs pays catholiques, y compris l'Italie, sans problème. La France faisait cavalier seul et la rejetait.

Une deuxième affiche avec le prêtre tenant un plus petit préservatif d'une main et un chapelet de l'autre a été proposée et refusée. Idem pour la troisième affiche où le prêtre tenait cette fois un préservatif dans son enveloppe. De guerre lasse, le distributeur et Charlie Hebdo ont fini par baisser les bras et par se résigner à une affiche édulcorée et étouffée par la rectitude politique. On y voit le prêtre en soutane tenir dans ses mains... un missel et un chapelet. Le préservatif, pourtant l'élément vedette du film, a été totalement éliminé.

C'est donc dire qu'encore aujourd'hui en France, un pays laïque, qui revendique fièrement sa laïcité, il est malvenu d'associer un préservatif et un prêtre catholique. Ce n'est pas formellement interdit, mais c'est déconseillé, ce qui, dans les faits, revient au même. Qui l'eût cru?

Procès au grand écran

Bonté divine est le troisième film que je vois ce mois-ci qui fait le procès d'un prêtre catholique. Le premier, Fou d'amour, sur un prêtre débauché et meurtrier qui a vraiment existé, a remporté le Grand Prix des Amériques au FFM. Le deuxième, Spotlight, sur les journalistes du Boston Globe qui ont fait éclater au grand jour le scandale des prêtres pédophiles, a été présenté au TIFF et sortira bientôt. Bonté divine vient boucler la boucle sur une note plus humoristique, bien qu'il s'agisse d'humour noir.

Le film n'est pas parfait et souffre de ruptures de ton un peu bizarres. Il n'en demeure pas moins qu'il démontre avec brio l'absurdité des politiques anticontraceptives de l'Église catholique, y compris du pape François qui s'oppose encore au contrôle «artificiel» des naissances. Au passage, le film égratigne l'étroitesse d'esprit, la xénophobie et le fanatisme, exacerbés par une Église qui cultive le secret, refuse les examens de conscience et résiste furieusement au changement.

Au Québec

Le film, je le répète, est sorti chez nous vendredi, et pas seulement au Beaubien à Montréal, mais à Trois-Rivières, Sherbrooke, Québec et, plus tard, dans une dizaine d'autres villes. L'affiche diffusée chez nous sera la même que celle qui a circulé en France. Ce n'est pas en raison de la censure, mais du manque d'argent. Le distributeur K-Films Amérique n'avait tout simplement pas les moyens de payer une nouvelle impression d'affiche. On lui pardonne.

Ce qu'on pardonne moins, par contre, c'est le refus d'un distributeur de condoms d'ici d'offrir des condoms. En France, la Soft a fourni gratuitement plus de 25 000 préservatifs à l'effigie du film, une initiative belle et amusante.

Ici, le distributeur contacté par K-Films était prêt à fournir des préservatifs pourvu qu'ils soient vendus plutôt que donnés. En France, à ce chapitre, la bonté divine a triomphé. Ici, la bonté divine a raté une belle occasion de se manifester.