Du temps où Sheila Copps dormait enroulée dans un drapeau canadien, elle avait voulu imposer au milieu du livre une mesure complètement ridicule. L'ex-ministre libérale avait en effet failli exiger qu'un drapeau canadien soit estampé sur l'épine de tous les livres ayant reçu l'aide financière de Patrimoine Canada.

D'abord ébahi par cette mesure sortie tout droit du bureau de la propagande canadienne, le milieu de l'édition avait protesté. Des éditeurs plus futés que d'autres avaient invoqué l'amalgame que les consommateurs risquaient de faire devant certains titres. Par exemple, un livre contre l'industrie pétrolière arborant un drapeau canadien pouvait aisément passer pour un livre dont les idées étaient appuyées par le gouvernement. Idem pour un livre vantant les mérites de la souveraineté du Québec. Autant dire que Sheila Copps avait fini par entendre raison et par renoncer à son drapeau sur l'épine des livres.

On espère qu'il en sera de même pour Shelly Glover, ministre sortante du Patrimoine canadien. Avant de faire ses valises pour le Manitoba, la ministre a offert au milieu de l'édition une nouvelle directive qui est un cadeau de départ aussi absurde qu'empoisonné.

Les éditeurs bénéficiaires de l'aide de Patrimoine Canada reconnaissent et remercient déjà le gouvernement canadien sur une page dans chaque livre publié. Ils devront désormais le faire dans les deux langues. Yes, mister. Oui, madame. Et tant pis pour le français comme langue officielle du Québec.

Dans l'esprit de la ministre Glover, la langue officielle du Québec comme celle du reste du Canada, c'est le bilingue.

Victor-Lévy Beaulieu a été le premier à sonner l'alarme. «Qu'un gouvernement se livre au chantage afin de parvenir à ses fins, soit le bilinguisme à tout prix, est parfaitement odieux», a-t-il écrit dans une lettre ouverte aux journaux.

Chantage, dans ce cas-ci, n'est pas un mot trop fort. Car si les éditeurs québécois et canadiens ne se plient pas à la nouvelle directive, ils perdront leurs subventions. Aussi simple que ça. Tu n'obéis pas, on te coupe ton financement. Too bad. C'est à prendre ou à laisser. Take it or leave it.

Au Canada anglais, la mesure n'a pas fait de vagues comme au Québec. Normal. Le milieu de l'édition canadien est complètement dominé par les multinationales américaines ou européennes qui n'ont pas besoin des subventions de Patrimoine Canada pour vendre leurs blockbusters.

La porte-parole de l'Association des éditeurs canadiens m'a quand même affirmé que si Patrimoine Canada allait de l'avant avec la mesure, elle l'accepterait... mais sans enthousiasme. Une formule polie pour dire que les éditeurs canadiens n'ont tout simplement pas les moyens de résister au chantage de Shelly.

Pourtant, il y a toutes les raisons du monde d'y résister. D'abord, il y a le caractère complètement artificiel et bidon de ce bilinguisme imposé à des lecteurs qui lisent d'abord dans leur langue ou dans celle de leur choix. Pourquoi les soumettre à ce bilinguisme de pacotille? Puis il y a l'affront implicite fait à la loi 101 par une mesure qui nie que le français est la langue officielle comme la langue d'usage au Québec. Mais surtout, cette directive témoigne de la détestable habitude qu'a le gouvernement fédéral de se comporter comme une multinationale qui commandite un produit et qui entend en avoir pour son argent, en visibilité et en impact publicitaire.

Or, le gouvernement canadien n'est pas Ford ni Pepsi. Il n'est pas une marque ni un vendeur de camelote. Il est un service public qui aide à la construction et au rayonnement de la littérature et de l'édition canadiennes. Pourquoi exige-t-il à tout coup une aussi grande reconnaissance alors qu'il ne fait que son devoir le plus élémentaire? Et pourquoi cette exigence de reconnaissance prend-elle de plus en plus de place alors que les fonds que le gouvernement fédéral distribue diminuent un peu plus chaque année?

Un coup parti, pourquoi ne pas obliger tous les Canadiens à se faire tatouer sur le corps le logo du Canada ou même le portrait de Stephen Harper. Après tout, on a de la gratitude ou on n'en a pas, non?

«Charité hypocrite qui donne dix sous pour avoir vingt francs de gratitude», écrivait Jules Renard. À l'évidence, son journal fut publié sans l'aide de Patrimoine Canada...