Le gala du Metropolitan Museum of Art, qui a eu lieu la semaine dernière à New York, est l'évènement de l'année de la planète mode.

En principe, la soirée, organisée par le magazine Vogue, est conçue pour mettre en valeur les plus grands designers de l'heure et leurs créations valant plusieurs centaines de milliers de dollars. Mais en pratique, ce sont les stars de la pop et du cinéma qui volent la vedette et qui détournent l'attention des photographes et des paparazzi.

Cette année n'a pas fait exception. Sauf que cette année, quelque chose comme une tendance lourde a émergé au grand jour. Cette année, je dirais même qu'un sommet a été atteint.

Appelons cela la tendance de la transparence ou de la nudité toute nue et toute crue, à peine obstruée par un bout de tissu, placé stratégiquement par fausse pudeur et qui, en réalité, ne laisse rien à l'imagination.

L'une des trois championnes de cette tendance fut sans conteste la reine Beyoncé, dans une robe Givenchy tellement transparente et ajourée qu'elle aurait très bien pu se passer de ses particules d'étoffe, de pierres et de paillettes et arriver toute nue au gala.

Idem pour Jennifer Lopez, qui, de gala en gala, ne cesse de nous offrir son corps en pâture comme une offrande, une sculpture, un bibelot, et quoi encore ? Cette année, sa robe rouge signée Donatella Versace était trouée comme une passoire et invitait le regard à s'immiscer à travers chaque trou.

Et que dire de Kim Kardashian, moulée dans une robe de Roberto Cavalli conçue pour mettre en évidence son cul, que dis-je, son énorme, son immense, son gigantesque popotin, qui pourrait passer pour une bourrure, si on était à une autre époque? Comme ce n'est pas le cas, on doit conclure qu'elle s'est fait greffer une amphore dans le postérieur et qu'elle en est très fière.

Le gala du Met, je le répète, est censé être une vitrine pour des robes créées spécialement pour l'occasion. Mais, de plus en plus, les robes comptent moins que ce qu'elles cachent, ou plutôt ce qu'elles ne cachent plus du tout.

Bref, les vraies vedettes de ce gala, ce sont les femmes, mais surtout leurs corps: des corps polis, musclés, modifiés, sculptés comme de véritables oeuvres d'art, des corps-machines, des corps-parures, redessinés par l'entraînement ou, le plus souvent, par la chirurgie plastique; des corps en compétition les uns contre les autres dans un éternel et désolant concours de chair mince et ferme.

Le phénomène n'est pas nouveau. Déjà, en 1974, Cher avait créé toute une commotion en arrivant au gala du Met avec une combinaison transparente à peine plus pudique que celle de Beyoncé. À l'époque, Cher était la seule de sa bande. Maintenant, elles sont légion à exhiber la machine parfaite et sculpturale de leur corps et à se présenter à nous comme des déesses aux pieds desquelles nous devrions nous prosterner.

Pendant ce temps-là, un mouvement pour la diversité corporelle, incarné chez nous par des filles comme la photographe Julie Artacho ou la comédienne Debbie Lynch-White, tente de nous convaincre du contraire. Mais ironiquement, ces filles courageuses qui refusent de se laisser bouffer par les stéréotypes et qui ont toutes deux posé nues avec leurs bourrelets, ne font pas le poids, à côté des Beyoncé, Rihanna et compagnie.

En effet, je ne connais pas une seule femme sur Terre qui rêve d'être ronde et d'avoir plusieurs kilos en trop, alors que toutes les femmes rêvent d'avoir le corps de Rihanna ou de Beyoncé.

Cette semaine, à l'émission de Pénélope McQuade, il fallait voir Mélissa Désormeaux-Poulin, Isabel Richer et Mariloup Wolfe, toutes plus minces les unes que les autres, écouter avec admiration la très ronde Julie Artacho.

Les trois, de même que Pénélope, reprenaient avec enthousiasme les propos de la photographe qui milite pour la diversité corporelle et qui a publié une série de photos d'elle nue au lit avec un partenaire amoureux. Elles étaient admiratives, c'est vrai, mais je mettrais ma main au feu que ni Pénélope ni aucune des trois actrices ne changeraient de place et surtout de corps avec la photographe.

Cela ne veut pas dire que le combat pour la diversité corporelle est vain ou inutile. Seulement qu'il se joue à armes furieusement inégales et que c'est toujours le même modèle idéal et idéalisé qui finit par gagner.

Beyoncé, Rihanna, J. Lo et Kim Kardashian continueront à exhiber leur corps parfait au Met ou ailleurs, jusqu'au jour où il leur faudra céder leur place à de plus jeunes, de plus fermes et de plus musclées qu'elles. La roue des corps nus continuera à tourner sans qu'on y puisse changer grand-chose.

Sachant l'inévitabilité du phénomène, je me console en me disant que mieux vaut une femme qui exhibe librement et en toute impunité son corps nu qu'une femme en prison sous sa burqa. Mais c'est une bien mince consolation.