L'appellation made in China n'est plus exactement un gage de qualité. Plutôt le contraire. Ainsi en est-il un peu du premier film chinois de la compétition officielle, présenté hier. De prime abord, Le patron de l'usine a en effet toutes les caractéristiques de la camelote made in China: les dialogues sont faibles et, dans bien des cas, sonnent comme un traité d'économie sur l'industrie manufacturière chinoise. Les personnages n'ont aucune réelle dimension et sont en carton-pâte ou, mieux encore, en mauvais plastique. Les acteurs, sauf peut-être les deux principaux, jouent avec la finesse d'un 10 tonnes. Bref, nous sommes ici très loin des maîtres du cinéma chinois comme Wong Kar Wei ou Zhang Yimou. Pour l'éblouissement visuel, il faudra repasser. Pour l'envoûtement cinématographique aussi.

Malgré tout, le film de Zhang Wei est assez fascinant, en premier lieu pour l'audace et l'originalité de son sujet. Le film se déroule en effet dans une usine de jouets au plus fort de la crise économique de 2008, dans la région du delta de la rivière des Perles, près de la ville de Shenzen. Au coeur du récit, la lutte entre un patron d'usine aux prises avec la pression folle de l'Ouest, qui exige des prix de fabrication de plus en plus bas, et des ouvriers épuisés, malades et sous-payés qui, pour une rare fois, décident de se révolter.

Le réalisateur Zhang Wei connaît bien le milieu industriel chinois. Avant de se lancer dans le cinéma, il a été le chef d'une entreprise de matériel électronique, qu'il a quittée à la fin des années 90. Si je me fie aux notes de production - et non pas à ce qui a été dit dans une conférence de presse où la langue de bois faisait loi -, l'ex-patron a voulu se porter à la défense des entrepreneurs chinois, surtout après les reportages dévastateurs des médias occidentaux sur les ateliers de misère et les vagues de suicides qui s'y sont produites.

De ce que j'en ai déduit, le réalisateur a voulu montrer que dans les usines chinoises, où les conditions sont loin d'être idéales et où la pression à la production et au rendement est énorme, les patrons se suicident aussi. Pas seulement les ouvriers.

Malgré toutes ses maladresses, le film a plusieurs qualités, dont sa direction artistique. L'usine du film n'est pas une vraie usine, mais une copie méticuleusement reproduite en studio. Il y a quelques éléments authentiques, comme les tours où habitent les ouvriers, mais pour le reste, tout a été reconstitué et plutôt de belle façon. Et puis le film a le mérite de nous entraîner au coeur de ces ateliers de misère en nous montrant une réalité sociale qui diffère légèrement de son cliché. Ici, les ouvriers ne sont pas aussi malheureux qu'on le pense. Quant au patron, il n'est pas parfait, il a ses défauts, mais on le sent réellement préoccupé par le sort de ses ouvriers et fier de leur fournir du travail.

Les méchants, dans Le patron de l'usine, ce sont en fin de compte les gens d'affaires de l'Ouest, les PDG des multinationales qui poussent la machine chinoise à son paroxysme en exigeant d'elle des bas prix qui défient l'entendement et des échéanciers meurtriers.

On ne sort pas du Patron de l'usine ébloui comme avec d'autres films chinois. Mais on en sort avec le sentiment d'avoir appris quelque chose et surtout d'en savoir un peu plus sur ce qui se cache derrière l'étiquette made in China.

Une femme de chambre allemande

Tordu: c'est le premier mot qui vient à l'esprit en voyant La femme de chambre, premier film allemand de la compétition. Tordue, cette femme de chambre qui nettoie et astique compulsivement les chambres d'hôtel, qui renifle les objets des clients, qui essaie leurs vêtements et qui finit - le mercredi soir seulement - par se glisser sous leur lit pour y passer la nuit. Tordu, ce film d'Ingo Haeb tiré d'un roman paru en 2008 sous la plume de l'écrivain allemand Markus Orths.

Tordues, ces 89 minutes où on ne comprend strictement rien au personnage de cette femme de chambre folle, complètement folle, qui souffre de solitude et de problèmes psychiatriques graves.

Le roman débute au moment précis où Lynne pousse la porte et sort de l'institut psychiatrique où elle s'est elle-même inscrite, pour ainsi dire. C'est un élément-clé pour comprendre le personnage. Pourtant dans le film, cet aspect est à peine évoqué. De toute évidence, le réalisateur ne voulait pas qu'on comprenne qui est cette femme, ce qui l'a brisée et rendue folle. Si son intention était de nous perdre et de nous mystifier plutôt que de nous toucher ou de nous instruire, alors c'est mission accomplie.

MENTION SPÉCIALE: Au FFM, qui, après réception d'un affidavit, a eu la bonne idée de retirer de sa programmation le documentaire sur Luka Magnotta. Samedi, l'équipe de production du documentaire était au FFM pour raconter la genèse du projet. Cela se résume à un nom: Anderson Cooper. Quand les producteurs torontois ont vu qu'Anderson Cooper, de CNN, diffusait un extrait de Cover Guy, l'émission qu'ils avaient produite et pour laquelle Magnotta a tourné une audition, ils ont compris qu'ils tenaient un numéro gagnant. «Si Anderson Cooper le fait, pourquoi pas nous?», se sont-ils dit. C'est ainsi que leur projet pourri sur un type prêt à faire n'importe quoi pour être célèbre est né. Et c'est ainsi que Luka Magnotta va avoir, une fois de plus, ses 46 minutes de gloire.