En point de presse, après le visionnement du documentaire Nation où il tient la vedette, Lucien Bouchard était intarissable.

On avait prévenu les journalistes que l'ex-premier ministre, habituellement avare de commentaires, ne répondrait qu'à quelques questions. Pourtant, une heure et des poussières plus tard, il parlait encore, rattrapant toutes ces années où il s'est emmuré dans le silence, ajoutant des nuances que le documentaire de 90 minutes ne peut se permettre. À croire que le désir de donner sa version de l'Histoire le démangeait.

Le documentaire, qui sera présenté lundi soir à Télé-Québec avant d'entamer sa carrière en salle, a un titre bizarre: Nation, huis clos avec Lucien Bouchard. Nation parce que Lucien Bouchard incarne à lui seul, par ses combats, ses unions et ses ruptures politiques, une certaine idée de la nation québécoise. Quant au huis clos, c'est l'exercice auquel Lucien Bouchard s'est soumis.

Pendant cinq jours, dans une maison de campagne louée pour l'occasion et nichée au milieu du flamboiement de l'automne, dans les Laurentides, Lucien Bouchard est littéralement devenu l'otage du réalisateur Carl Leblanc qui le pousse parfois dans ses derniers retranchements, avec affection et sans agressivité, mais sans lâcher prise, non plus.

À quelques reprises, il réussit à lui soutirer quelques aveux croustillants sur Jean Charest qu'il ne porte pas dans son coeur, ou encore sur l'absence de convivialité entre Jacques Parizeau et lui pendant la campagne du Oui.

De Carl Leblanc, on pourrait dire qu'il est un spécialiste du révisionnisme historique, si cette expression n'était pas aussi péjorative. Dans les faits, le documentariste a revisité dans ses films une foule d'évènements politiques marquants: la mort de Pierre Laporte dans La belle province, la nuit des longs couteaux dans Canada by Night, l'enlèvement de James Cross dans L'otage, le voyage du général de Gaulle au Québec en 1967 dans Le chemin du Roy.

À chaque film, Leblanc, qui n'est donc pas un témoin de premier plan de ces évènements, a cherché à aller au-delà des versions officielles figées dans le ciment de leur propre légende et à les présenter sous un angle nouveau.

Son huis clos avec Lucien Bouchard diffère légèrement de ses autres films puisqu'ici l'Histoire nous est racontée à travers un seul témoignage et un seul prisme. Mais on y retrouve, comme dans ses autres films, un angle, sinon nouveau, à tout le moins rafraîchissant.

La force et l'intérêt du film tiennent d'abord à la candeur de Bouchard qui se livre sans filtre, avec effusion, émotion, humour et parfois même avec colère, mais jamais en cherchant à se donner le beau rôle.

Dans un aveu assez touchant, il confiera même qu'un de ses fils en est venu à la conclusion qu'il était un loser puisqu'il n'a pas réussi à réaliser son rêve d'indépendance. Si t'as pas gagné, c'est que t'as perdu et donc, que t'es un loser, répétera-t-il avec un fond de lucidité résignée.

Ce huis clos où l'ex-politicien revient sur les temps forts, les drames, les ruptures, les amitiés brisées, les trahisons et les déceptions de sa carrière n'est pas un essai politique ni même une tentative d'expliquer l'Histoire récente.

C'est plutôt les confessions d'un homme qui, par moments, semble victime des circonstances - les bonnes comme les mauvaises -, et qui, en fin de compte, avait peut-être plus l'étoffe d'un héros que celle d'un politicien. Il avoue d'ailleurs avoir résisté à l'appel des sirènes pendant 22 ans pour une foule de raisons qui, a posteriori, lui semblent amplement justifiées. Au bout du compte, il estime avoir payé un prix trop élevé.

La seule fausse note de ce film, à mes yeux, c'est le fameux discours que Bouchard a écrit advenant une victoire du Oui et qu'une recherchiste miraculeuse a retrouvé dans les entrailles des archives nationales.

J'ai ressenti un léger malaise en écoutant Bouchard lire des extraits de ce discours lyrique à souhait. Il a beau répéter qu'il a hésité et refusé à plusieurs reprises cette idée saugrenue, au final, il cède.

Est-ce par nostalgie, par vanité, par masochisme? On ne le saura jamais. N'empêche qu'il y a quelque chose de foncièrement dérangeant à écouter un homme qui ne croit plus à la souveraineté lire un discours souverainiste victorieux qui n'a jamais existé, un discours mort-né, en somme.

Pour le reste, ce film demeure une plongée fascinante dans le coeur et l'âme d'un politicien et un testament dont Lucien Bouchard peut être fier.

ON EN A TROP PARLÉ

Du défi du seau d'eau glacée qui, avouons-le, est pas mal plus facile à réaliser en pleine canicule qu'au creux de l'hiver. Mais ce qu'on n'a jamais su, c'est pourquoi c'est la maladie de Lou Gehrig qui a gagné le concours de popularité. Pourquoi les seaux de glace qui gèlent le cerveau n'ont-ils pas été versés au profit du cancer des ovaires, du sida, du parkinson ou de la maladie de Crohn? Qui est en charge du marketing des maladies? Faudrait mettre un homme là-dessus.

ON N'EN A PAS ASSEZ PARLÉ

Du nez de Cyrano de Bergerac. Si d'aventure Cyrano avait rencontré Jean Airoldi, il aurait été forcé de se faire arranger le nez. Du coup, toute sa verve, sa poésie et sa sensibilité exacerbée par ses complexes et sa souffrance morale auraient foutu le camp sur la table d'opération et nous aurions été privés d'une grande oeuvre. Merci à Cyrano d'être resté fidèle à lui-même et merci à Patrice Robitaille qui, tous les soirs au TNM, l'interprète avec brio.